Tribune publiée dans la Marseillaise
Le ministre de l’Éducation nationale a enfin rendu public le contenu de son plan pour la mixité sociale à l’école, dont le manque d’ambition surprend même ceux qui n’en attendaient rien : aucune mesure concrète, quelques directives floues et de vagues promesses de négociations futures avec l’enseignement privé, sans que la moindre contrainte ne soit désormais plus envisagée.
Pourtant, le sujet est important. Les enfants les plus favorisés désertent les écoles des quartiers populaires. Cette ségrégation scolaire menace notre socle républicain, car elle accentue les inégalités scolaires et donc sociales, alors que le service public devrait au contraire contribuer à les résorber. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises écoles ; les personnels de l’Education nationale font partout un travail remarquable, dans des conditions qui ne cessent de se dégrader. Mais il y a des écoles où il est plus difficile d’enseigner et d’apprendre, parce que toutes les difficultés s’y concentrent.
La ségrégation scolaire existe entre établissements publics et de façon encore plus marquée entre le public et le privé. Elle était déjà documentée et connue, mais nous en mesurons encore mieux l’ampleur grâce la publication récente par le ministère des indices de position sociale (IPS), qui permettent de juger objectivement de la composition sociale de chaque établissement.
À Marseille, comme dans les autres grandes villes, les écarts entre des écoles, collèges ou lycées pourtant situés à quelques pas, sont parfois immenses. Les moyens alloués dans le cadre de l’éducation prioritaire ne suffisent pas à compenser ces difficultés et la carte de 2015 n’est plus adaptée à la situation actuelle de certaines écoles.
Au total, les acquis scolaires restent très fortement déterminés par l’origine sociale. C’est une injustice à laquelle nous ne devons pas nous résigner et contre laquelle il est urgent d’agir. Il n’existe pas de solution miracle, mais nous pouvons, au moins, essayer d’améliorer les conditions d’apprentissage des enfants les moins favorisés. Cela peut se faire en luttant contre la ségrégation sociale, avec une profonde remise à plat de la sectorisation et en renforçant l’éducation prioritaire. Or, le gouvernement n’avance dans aucune de ces deux directions.
Plus largement, la lutte contre la ségrégation sociale passe aussi par une politique du logement social plus ambitieuse, qui se donne des objectifs quartier par quartier.
Le gouvernement ne fait rien non plus pour limiter le séparatisme scolaire pratiqué par le privé qui, à Marseille, scolarise un écolier sur cinq et un collégien sur trois. Les enfants qui fréquentent les écoles privées sont issus de milieux sociaux beaucoup plus favorisés que ceux du public.
Société en archipels
Les données chiffrées grâce à l’indice de position sociale nous permettent d’évaluer avec davantage de précision l’ampleur de ce séparatisme scolaire. Rappelons que plus la valeur de cet indice est élevée, plus il témoigne de conditions socio-économiques et culturelles favorables dans l’environnement familial des élèves. À Marseille, l’IPS moyen des écoles privées est de 124,6 et celui des écoles publiques de 96,1. Même chose pour les collèges, avec un IPS moyen de 116,8 dans le privé et de 87,6 dans le public. Parmi les 30 collèges ayant le plus fort IPS, seuls 6 sont des collèges publics !
Si la ségrégation urbaine explique les écarts entre écoles ou collèges situés dans des quartiers éloignés, elle n’explique pas pourquoi deux collèges, l’un privé et l’autre public, situés à 1,6 km l’un de l’autre, ont l’un des IPS les plus élevées de la ville pour l’un et l’un des plus bas pour l’autre. Le privilège immense – et nocif – du privé, c’est de pouvoir choisir les élèves qu’il scolarise. Il permet ainsi aux familles les mieux informées de fuir l’école de secteur lorsqu’elle est perçue comme trop « populaire ». Les écarts s’auto-entretiennent et se renforcent, avec des écoles pour les « riches » et d’autres pour les « pauvres ».
Là encore, il est urgent d’agir, en ne permettant plus au privé, qui est aux trois-quarts financé par les deniers publics, de s’affranchir des règles de sectorisation. Il faut du courage politique pour s’attaquer aux privilèges de l’école privée. Le ministre Alain Savary en a fait les frais en 1984. Mais de renoncements en renoncements, le séparatisme scolaire se creuse, surtout à Marseille, au risque de fracturer la société en archipels qui ne se rencontrent plus, même au sein de l’école de la République.