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Explication de vote : projet de loi de Finance Rectificatif

La loi de finances rectificative est la loi modifiant en cours d’exercice les dispositions de la loi de finances de l’année. Au moins une loi de finances rectificative est votée en fin d’année pour autoriser des mouvements de crédits ou ré-estimer le niveau des recettes.

L’article 1 est un des plus important, car il entérine la suppression de la redevance télévision. Cette mesure électoraliste était initialement une revendication de l’extrême droite : Zemmour en a fait la proposition en décembre 2021, puis Marine Le Pen l’a reprise dans son programme. L’extrême droite a réclamé d’ailleurs la suppression pure et simple de l’audiovisuel public dans un de ses amendements. Le gouvernement s’est lui engagé à compenser à l’euro près la perte pour les chaînes et radios, ce qui veut dire que ce qu’il rend au contribuable d’un côté, il va le reprendre ailleurs. D’autre part, l’ensemble des dirigeants de l’audiovisuel public ont exprimé leur inquiétude dans une audition faite par la commission des Affaires culturelles, car sans budget dédié, ils perdent l’assurance d’une dotation pérenne ce qui est indispensable à tout investissement. Pire, leur indépendance éditoriale pourrait être menacée et la crédibilité de nos médias dans les pays étrangers comme l’Allemagne ou les pays africains risque aussi d’être remise en cause, expliquent les responsables de RFI et de France 24. Comme le financement initial prévu par le gouvernement (budget général de l’État) n’était pas dédié à l’audiovisuel, nous avons menacé d’un recours au Conseil Constitutionnel, car l’indépendance de la presse est un droit constitutionnel. D’ailleurs, un récent rapport de l’Inspection générale des finances et de celle des affaires culturelles souligne la nécessité de préserver et garantir l’indépendance de l’audiovisuel public. Dans un contexte d’accentuation de la concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires, le risque est grand pour l’indépendance de la presse. Les organisations syndicales ont dans un communiqué commun aussi alerté sur la précarisation et la baisse des ressources que cela entraînerait. Le gouvernement a dû donc trouver une solution alternative transitoire qui consiste à remplacer cette budgétisation par une fraction du produit de la TVA, un nouveau dispositif, lui aussi injuste. En effet, la TVA est une taxe dont le taux est identique quel que soit le niveau des revenus. Les plus pauvres sont donc proportionnellement davantage taxés que les plus riches. Le groupe LFI-NUPES a proposé une alternative, inspirée du rapport de Julia Cagé (amendement 260 non adopté), à savoir une contribution progressive en fonction du revenu actuellement appliquée en Norvège. Cela revient à une structure de prélèvement allant de 10 € (les foyers fiscaux dont le revenu fiscal se situe entre 0 et 15 000 euros) à 200 euros pour les foyers fiscaux dont le revenu fiscal de référence dépasse 50 000 euros. Les groupes de la NUPES ont été les seuls à défendre l’audiovisuel et la radio public pendant ces débats.

Après l’article 1, la minorité présidentielle a refusé une taxe de 25% sur les bénéfices des sociétés pétrolières et gazières, des sociétés de transport maritime de marchandises et des sociétés concessionnaires des missions du service public autoroutier. Total a engrangé 14 milliards d’euros en 2021 de bénéfices, la CMA-CGM, leader mondial dans le fret maritime, a dégagé 17 milliards d’euros de profits, Vinci Autoroutes 1,9 Md€ de bénéfices avec plus de 30% de marge. Ces profits exceptionnels donnent lieu à des versements de dividendes colossaux, qui auraient dû être mis à contribution. Cette proposition de taxe exceptionnelle a fait l’objet de recommandations même du FMI, ou encore du secrétaire général des Nations Unies et figure parmi les propositions portées à la connaissance des États membres de l’Union Européenne par Bruxelles, pour faire face à la crise. Des dispositifs semblables ont été mis en place au Royaume-Uni et en Italie, mais également en Espagne, en Bulgarie, en Hongrie, ou encore en Roumanie. Il ne reste que ce gouvernement pour s’y opposer. Cet amendement (n°548) proposé par le groupe LFI-NUPES a failli passer, puisqu’il ne lui a manqué que 10 voix (110 contre 100).

Après l’article 5, je suis intervenu en séance pour défendre l’amendement 553. Cet amendement visait à conditionner les aides publiques accordées aux grandes entreprises à des engagements climatiques contraignants. Plus le temps passe, plus les scénarios du GIEC sont alarmants et les canicules et méga feux récents ne font que confirmer leurs projections. Nous ne pouvons donc plus faire la politique de l’autruche. Nous devons changer de paradigme et engager une bifurcation écologique ambitieuse. Nous atteignons les limites de notre planète, pas que sur le climat d’ailleurs. La France n’est pas le bon élève, comme le répète à l’envie le gouvernement. Il a été condamné pour son inaction climatique et le premier budget de la Stratégie Nationale Bas Carbone n’a pas été atteint de 3.5%. Pour engager les transformations nécessaires, nous avons donc besoin d’une planification écologique, ce qui passe par une politique d’incitations pour favoriser les pratiques vertueuses. C’était l’objet de cet amendement : notre argent public ne doit plus financer des entreprises qui contreviennent à nos engagements concernant la baisse des émissions de GES. Les multinationales françaises émettent, en effet, 11 fois plus que 67 millions de français et 100% des entreprises du CAC40 ont bénéficié en 2021 des aides publics. Les 80 milliards d’euros redistribués à leurs actionnaires au titre de l’année 2021 seraient plus utiles à la bifurcation écologiue. Nous devons mettre la règle verte au cœur de nos politiques publiques, la maxime «ne pas reprendre plus à la planète que ce qu’elle peut reconstituer », doit remplacer «la concurrence libre et non faussée ».

Je suis également intervenu en séance sur l’article 12 qui prolonge le bouclier tarifaire sur le gaz et les compensations pour les fournisseurs. J’ai expliqué pourquoi nous nous sommes abstenus. Les cours du gaz flambent depuis le 1 janvier 2022 en passant de 80 à 180 MWh. Le prolongement du bouclier tarifaire est donc, dans l’urgence, nécessaire. Mais ce dispositif et sa pérennisation est symptomatique de la politique à court terme du gouvernement et de son incapacité à anticiper les grands enjeux écologiques. Il se dit pris de cours par le conflit en Ukraine et la menace russe. Pourtant, la question de la sortie des énergies fossiles n’est pas nouvelle. Le concept du pic pétrolier est né en 1956. Depuis, nous savons que les ressources fossiles, charbon, gaz et pétrole sont limitées et que leur épuisement conduira à leur renchérissement et à des tensions géopolitiques. De nombreux conflits en Iran, Afghanistan, Irak, Libye et Venezuela se situent dans des zones à fortes ressources gazières ou pétrolières. Par ailleurs, la question climatique n’est pas nouvelle. Dès 1896, Arrhenius avait anticipé une augmentation de 5°C avec un doublement du CO2 atmosphérique. Dans l’article proposé par le gouvernement, ce qui est intéressant c’est qu’il constitue un aveux: le marché est défaillant pour gérer l’énergie, comme il est défaillant pour gérer d’autres communs essentiels à la vie comme l’eau ou l’alimentation. La seule solution à court terme est donc le blocage des prix des ressources de première nécessité et l’indexation des salaires sur l’inflation. A plus long terme, nous devons refonder un pôle public de l’énergie en re-nationalisant EDF et GDF avec des statuts d’Établissement Public à Intérêts Commerciaux, et organiser la planification écologique avec deux grands objectifs:  la sobriété, pour diviser par 2 notre consommation d’énergie primaire, et la transition vers 100% d’énergies renouvelables. La relance du nucléaire n’est pas la solution, à cause des risques environnementaux liés à son usage, de la dépendance en uranium et surtout des délais et des coûts requis pour cette relance.

L’autre article important était l’article 6, qui correspond à des annulations et ouvertures de crédits au sein des différentes missions du budget général de l’État. C’est dans cet article que s’opèrent les transferts de crédits de nombreuses mesures qui ne font pas l’objet d’un article spécifique, et qui peuvent ensuite passer par exemple par décret. Les principales d’entre elles étaient les suivantes : (1) les aides pour les carburants, (2) le prolongement des boucliers tarifaires pour le gaz et l’électricité qui permettent de limiter le report de la flambée des cours du gaz et de l’électricité, (3) l’aide exceptionnelle de rentrée, (4) le financement d’une première tranche de l’extension des accords du Ségur aux travailleurs sociaux.

Sur cet article, les députés Renaissance ont été mis en minorité sur le RSA. Contre l’avis du gouvernement, l’Assemblée nationale a décidé samedi 23 juillet d’allouer 120 millions aux départements qui versent le RSA en 2022, pour compenser intégralement la hausse de 4 % de cette prestation programmée par l’État. Par ailleurs, un amendement (936) des députés Socialistes et apparentés a été adopté. Il permet d’instituer une dotation exceptionnelle aux collectivités territoriales qui sont, en 2022, confrontées à une dégradation de leur épargne brute en raison d’une conjonction de trois surcoûts exceptionnels : la revalorisation du point d’indice de la fonction publique, y compris territoriale et la hausse spontanée de l’inflation, notamment des prix de l’énergie.

La pression de l’Assemblée a aussi conduit à un compromis entre LR et LREM sur les prix de l’essence. Bruno Le Maire s’est dit favorable à augmenter la remise à la pompe de 18 à 30 centimes par litre, samedi 23 juillet. « La remise pourrait passer de 18 à 30 centimes d’euros en septembre et en octobre, puis passer à 10 en novembre et 10 en décembre », a détaillé le ministre.

Enfin, la fin de l’examen de la loi a été entre 2h et 4h du matin l’occasion d’un coup de théâtre doublement scandaleux. Tout a commencé par l’examen de l’amendement 194, porté par Charles de Courson pour le groupe Libertés et territoires (LIOT). Ce dernier proposait une « revalorisation des pensions prenant en compte le niveau réel de l’inflation, c’est-à-dire, pour l’année 2022, une inflation (en masse) à 5,5 % ». Un niveau supérieur à celui proposé par l’État, qui a acté une hausse des pensions de 1,1% en janvier dernier, et de 4% en juillet. L’amendement proposait de corriger cela pour une facture estimée à 500 millions d’euros supplémentaires. Comme il est impossible selon l’article 40 de la constitution de faire des amendements qui génèrent de nouvelles dépenses (sauf pour le gouvernement), l’amendement prévoyait de prendre les fonds sur les pensions militaires. Cette façon de procéder est très fréquente. Si l’amendement est adopté, le gouvernement peut lever le gage et budgéter la nouvelle dépense. L’amendement a été adopté à 186 contre 181 voix au grand dam du rapporteur et du gouvernement.

Quelques heures plus tard, à 2H du matin, alors que l’examen du budget rectificatif se prolongeait dans la nuit, une seconde délibération est décidée par le gouvernement arguant qu’il était impossible de prendre ces 500 M€ sur la pension des militaires. Ce processus, qui permet aux députés de voter à nouveau sur une modification qui aurait dû être adoptée différemment, à la fin d’un texte, a permis à l’exécutif de revenir sur les 500 M€ donnés aux retraités. Déposé en catastrophe par le gouvernement, l’amendement 21 revient en effet sur l’amendement 194 de Charles de Courson. Tous les groupes parlementaires, exceptés les Républicains dont le retournement de veste a été exemplaire, se sont opposés à ce nouveau vote. Finalement, peu avant 3h du matin, après d’interminables discussions, celui-ci a quand même lieu, en pleine confusion, alors même qu’un député du RN exigeait un rappel au règlement. De nombreux députés n’ont pas entendu l’ouverture du scrutin et l’amendement du gouvernement a été voté par les élus, à 224 voix contre 121. Un débat interminable s’en est suivi, jusqu’à 4h du matin concernant l’insincérité du vote. Mais malgré l’accord du gouvernement pour le refaire, la présidente de l’Assemblée s’y est refusée.

 

Enfin, certains électeurs ont, à juste titre, pointé l’absence de certains députés le samedi dans la journée et dans la nuit. Certains votes étaient serrés, mais il faut savoir que le groupe Renaissance examine régulièrement la présence dans l’Assemblée. Si nous nous mobilisons, ils se mobilisent aussi. En réalité, nous n’avons réussi à gagner des votes que quand LR, RN et NUPES votent la même chose, donc quand la minorité présidentielle est réellement minoritaire. Par ailleurs, le groupe LFI-NUPES est celui dont le taux de présence a été le plus élevé pendant les scrutins sur la loi Pouvoir d’achat et PLFR.

Pour conclure, nous avons voté contre ce PLFR, qui est largement insuffisant concernant le pouvoir d’achat et surtout qui se refuse à taxer les plus riches et les multinationales pour financer les mesures sociales. De plus, la suppression de la redevance fait peser de lourdes menaces sur l’audiovisuel, les radios publiques et toute la culture qui dépend des investissements de ces acteurs, notamment dans le cinéma.

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