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Urgence logement

Il y a plus de 100 ans en 1908, Jack London écrivait dans le Talon de fer « Si le pouvoir de production de l’homme moderne est 1000 fois supérieur à celui de l’homme des cavernes, pourquoi y a-t-il actuellement aux États unis 15 millions de gens qui ne sont pas nourris et logés convenablement ? C’est une accusation sérieuse ».

En France, la productivité horaire a augmenté de 2,5 % en moyenne annuelle entre 1890 et 2022. Pour reprendre les termes de Jack London le pouvoir de production d’un citoyen vivant en France a été multiplié par 26 depuis 1890.

Et pourtant, on dénombre :

624 sans-abris décédés à la rue1, 224 de plus qu’en 2012.

17 500 expulsions locatives contre 7 500 en 2004

330 000 sans abris, soit 3 fois plus qu’en 2001

2.4 millions de ménages en attente d’un logement social contre 680 000 en 1984.

4.1 millions de mal logés

9 millions de pauvres contre 7 millions en 20022.

C’est une accusation sérieuse.

Le droit au logement comme le droit à l’alimentation font partie des besoins fondamentaux qui définissent un droit à la vie. L’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme stipule que : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires »

L’absence de logement ou le mal-logement est une atteinte à la dignité qui a aussi des conséquences dramatiques en cascade sur la santé et l’espérance de vie. Un sans-abri a une espérance de vie de 30 ans de moins3.

Comment en est-on arrivé là ?

Suivre le fil de l’hébergement d’urgence

La question du logement est comme une pelote de laine : si nous tirons le fil du manque d’hébergement d’urgence, nous pouvons démêler toute la pelote jusqu’à Airbnb, car tout est lié.

Il y a aujourd’hui 14 000 sans abris rien qu’à Marseille. Mais même ce chiffre n’est pas fiable. Par exemple, les femmes sont invisibilisées, car elles fuient la rue encore plus dangereuse pour elles que pour les hommes. Ils sont aussi nombreux et nombreuses à la rue, car les expulsions locatives se multiplient et qu’il y a une chasse aux squats, qui va empirer avec la loi du nouveau ministre du logement. Sans parler de l’aggravation de la pauvreté et des réformes répressives à l’encontre des chômeurs des allocataires de minimas sociaux qui se retrouvent de plus en plus en difficulté pour payer leur loyer. Même le travail ne rémunère plus assez pour pouvoir trouver ou conserver son logement. Selon l’enquête menée de décembre 2018 à août 2019 par la RATP et l’observatoire du Samu social de Paris, un tiers déclarent avoir des revenus4 ! Les travailleurs pauvres ou les étudiants qui ne trouvent pas de logements finissent à la rue. L’Etat ne protège plus les enfants qui lui sont confiés, puisqu’un quart des personnes à la rue sont passés par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance. Dans la rue, il y a aussi de nombreux étrangers qui travaillent, qui pourraient accéder au logement, si leur situation était régularisée. La course à l’échalotte morbide avec le RN, alimente la chasse aux étrangers. Cela accroît la précarité et le sentiment d’insécurité qui alimente le RN…

Pour toutes ces raisons, l’hébergement d’urgence est totalement saturé. Le Samu Social constate lui-même l’incapacité chronique des politiques publiques à répondre à la demande d’hébergement des sans-abris. A Paris, en décembre 2022, 11 000 personnes ayant fait une demande d’hébergement depuis au moins 3 mois, étaient toujours sans aucune proposition.

La saturation est aussi liée à l’absence de possibilités de basculer de l’hébergement d’urgence vers de vrais logements. Pourquoi ? Car l’accès au logement social devient impossible avec 2,3 millions de ménages déjà en attente. Nous ne construisons pas assez de logements sociaux, 80 000 chaque année actuellement contre 400 000 entre 1968 et 1973. Il manque surtout de l’habitat très social et l’assouplissement de la loi SRU va aggraver les choses.

Le logement social est lui-même saturé car il devient de plus en plus difficile d’accéder au parc privé. La part des dépenses dans le logement est passé de 12% en 1960 à 27% en 2022. A Marseille, les loyers ont augmenté de 5.9% en 5 ans. La flambée des prix de l’énergie n’arrange rien. Depuis un an, l’électricité a augmenté de 40%, quand EDF dégageait 10 Md€ de bénéfices5.

L’accès à la propriété est lui aussi difficile car les taux d’intérêt ont remonté et que les prix demeurent très élevés. Le prix du m2 a augmenté de 14,5% sur Marseille entre 2020 et 2022.

La rente immobilière se porte par contre très bien pour les 3.5% de multi-propriétaires qui possèdent 50% du parc locatif. Airbnb est devenu une véritable manne financière pour certains. Le nombre de logements mis en location touristique de courte durée est passé en France de 300 000 en 2016 à 800 000 pour l’année 2021.

Les touristes occupent les appartements et les sans-abris occupent les hôtels. Nous vivons une époque formidable.

Des solutions nécessitant une série de rupture

Il est urgent de reprendre le fil du logement, en partant des besoins.

Il est d’abord nécessaire d’encadrer cette nouvelle activité qu’est le tourisme saisonnier. Il est possible de réduire drastiquement le nombre de nuitées de mise en location courte durée de la résidence principale, par exemple à 60 par an et de soumettre les résidences secondaires à une demande d’autorisation de changement d’usage comme c’est actuellement le cas à Paris. Les propriétaires qui ne respectent pas la réglementation, doivent pouvoir faire l’objet de sanctions comme l’obligation de restituer le local en usage d’habitation longue durée. Pour aller plus loin, la loi doit être modifiée pour que la fiscalité immobilière favorise les locations longue durée.

Pour éviter les expulsions, il faut mettre en place d’une garantie universelle des loyers et strictement limiter les expulsions locatives. La régularisation de tous les travailleurs et travailleuses sans papier permettrait qu’ils trouvent des logements décents dans le parc locatif, au lieu d’être à la rue, dans l’hébergement d’urgence ou victimes de marchands de sommeil.

Plus largement, nous devons construire au moins 200 000 logements sociaux par an. Dans les zones déjà denses où le foncier est rare, comme dans la circonscription où je suis élu, il doit être possible de racheter et rénover des habitats insalubres et de les transformer en logements sociaux. Pour lutter contre l’habitat insalubre, un collectif marseillais a proposé une série de mesures dont la création d’une Agence nationale des travaux d’office, qui puisse être missionnée par les municipalités ou les intercommunalités. Il y a aussi 3 millions de logements vides. Il faut changer là aussi la fiscalité pour que les propriétaires soient contraints de mettre en vente ou en location.

Enfin, concernant l’hébergement d’urgence, il est absolument vital d’ouvrir au moins 100 000 places, avec de vrais habitats dignes bénéficiant d’une cuisine avec un accompagnement social de qualité permettant la réinsertion. Les travailleurs sociaux souffrent énormément du tri odieux qu’ils sont actuellement contraints de faire et croulent sous une bureaucratie néolibérale maltraitante. On manque de plus en plus de professionnels, faute de conditions de travail et de rémunération décentes. L’inconditionnalité de la mise à l’abris doit être défendue. Il est inadmissible de laisser des femmes avec des nourrissons à la rue, quel que soit leur statut, leur couleur de peau ou leur origine. Les associations qui organisent cet hébergement d’urgence doivent bénéficier de vrais moyens pérennes et ne pas être mise en concurrence les unes avec les autres via des appels à projets souvent sous dotés et qui favorisent des grands groupes comme SOS.

1 En 2022, nous n’avons pas les chiffres de 2023

2 https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/29e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2024

3 https://www.radiofrance.fr/franceinter/les-sdf-vivent-31-ans-de-moins-que-le-reste-de-la-population-selon-le-recensement-d-un-collectif-4348701

4 https://www.la-croix.com/France/Metro-boulot-metro-sans-abri-metro-sont-travailleurs-pauvres-2019-11-18-1301061082

5 https://www.liberation.fr/economie/edf-finit-bien-lannee-2023-avec-un-benefice-net-de-10-milliards-deuros-20240216_T2TX62MO3NGH3MNLFKQKZRFTLE/

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