Auteur/autrice de l’image

Rapport sur nos visites dans les lieux de privation de liberté : CRA, GAV et Baumettes.

Je présente ici un court rapport de mes visites de lieux de privation de liberté au cours de ma première année de mandature.

Le Centre de Rétention Administratif

Lundi 2 janvier, j’ai utilisé mon droit de parlementaire pour aller visiter de manière inopinée le Centre de Rétention Administrative du Canet à Marseille, en compagnie du député de Loire-Atlantique, Andy Kerbrat.

Le centre de Rétention Administrative (CRA) de Marseille désormais situé au Canet a longtemps été localisé à Arenc, sur le port. Il s’agit du premier CRA créé en France. Au départ, installée en dehors de tout cadre légal, cette prison clandestine a enfermé depuis plus de 10 ans des étrangers pour les expulser. Cette “affaire” a fini par éclater en 1975, mais la prison a tout de même perduré jusqu’en 2006. Le CRA est alors transféré au Canet dans le 14ème arrondissement de Marseille.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait constaté en 2006 des conditions d’hébergement indignes : absence de chauffage, d’eau chaude, etc.

Lors de notre visite, 80 places sur 136 étaient occupées. Malgré le nombre de cellules vides, il nous a fallu insister auprès de l’administration pour y avoir accès. Ici, on parle de “peigne” pour décrire les couloirs où se succèdent ces cellules. Pas de suroccupation comme dans les prisons, mais un univers tout de même carcéral très marqué. La cour par exemple, très petite, est recouverte de grillages aux murs et au plafond. Les retenus ne peuvent circuler librement, les portes verrouillées se succèdent les unes après les autres, et les activités sont inexistantes.

Des jours et des jours à attendre l’audience, sans n’avoir rien à faire, parfois jusqu’à 90 jours d’affilée.

A la différence des prisons, les CRA ne dépendent pas de l’Administration pénitentiaire, et donc de la Justice, mais de la Police et plus particulièrement de la Police aux Frontières. Ce sont donc des fonctionnaires de police qui décident de placer des personnes en détention, et de les surveiller, en attendant leur procès. Ces fonctionnaires de police n’atterrissent pas toujours par choix dans ces services, loin de là. Un délégué syndical, rencontré sur place, nous explique que les taux d’encadrement sont faibles et les violences, nombreuses. Quelques jours avant notre venue, une rixe avait éclaté, faisant 4 blessés parmi les policiers et 2 chez les retenus. De l’aveu même des agents, la plupart des retenus souffre de troubles psychologiques. Certains sortent de l’hôpital psychiatrique et ne comprennent pas pourquoi ils se retrouvent en CRA. On imagine que l’enfermement chez des personnes malades n’améliore pas leur état.

Depuis la circulaire Darmanin, les retenus sont de plus en plus des sortants de prison. Cela signifie qu’en plus d’avoir purgé leur peine, ces détenus doivent effectuer jusqu’à 3 mois d’enfermement supplémentaires avant d’être renvoyés dans leur pays. Il s’agit d’une double peine, discriminante et inhumaine.

En outre, alors même que la rétention doit être exceptionnelle et motivée, sont emprisonnées (au lieu d’être assignées à résidence) des personnes ne présentant aucune dangerosité, vivant en France depuis plus de 20 ans, ayant un logement, une famille qui les attend avec des enfants français, parfois un emploi qu’ils ont laissé. Les comptes-rendus d’audience compilés par la Cimade Marseille sont particulièrement éclairants sur les abus et sur les situations kafkaïennes dans lesquelles se retrouvent de nombreux retenus. C’est ce que nous avons aussi constaté lors de notre visite. Quels traumatismes créons-nous pour les enfants des retenus en rompant leur lien parental ? Le pire, nous racontent les associations qui y travaillent, est que parfois les arrêtés d’expulsion sont cassés par la cour d’appel… une fois que la personne a déjà été renvoyée ! C’est le cas pour les Algériens qui ont des enfants en France et qui sont normalement protégés par l’accord bilatéral entre la France et l’Algérie.

Des retenus venus en France illégalement ?

Pas tant que ça. Certains avaient des visas, des titres de séjour, ou n’ont parfois pas eu le temps de déposer leur demande d’asile. Mais entre les temps d’attente pour recevoir son récépissé, l’accès aux informations, les accidents de la vie, les patrons qui refusent de faire les démarches de régularisation, beaucoup devraient en vérité pouvoir obtenir des papiers.

Nous avons rencontré Forum Réfugiés l’association qui accompagne juridiquement ces retenus. Ils font un travail formidable, avec trop peu de moyens. Ils constatent aussi une évolution du public retenu, et des expulsions de plus en plus assorties d’interdiction de retour de 3 ans, soit un durcissement !

Malgré cette volonté de durcissement, il faut rappeler que 70% des détentions se soldent par des remises en liberté. Preuve, s’il en fallait encore une, que les CRA ne servent pas à grand-chose, si ce n’est à maltraiter des personnes en les enfermant pendant 3 mois, dont le seul tort était de ne pas avoir de papiers d’identité.

Plutôt que de les enfermer dans ces conditions inhumaines, pourquoi ne pas condamner plutôt les réseaux qui les exploitent, les privent de leurs papiers parfois, revoir les politiques du droit d’asile inadaptées et mener une politique de régularisation massive ?

Les conditions de garde à vue

Pendant le mouvement des retraites, je suis allé au commissariat de Noailles à Marseille et dans un commissariat de Paris pour contrôler les conditions de garde à vue. Ces situations étaient particulières puisque lors de ce mouvement certains gardés à vue étaient des mineurs parfois très jeunes (collégiens).

J’ai pu constater les conditions très dégradées de garde à vue à Marseille. Un des détenus n’avait pas pu joindre ses parents. Les cellules de garde à vue sont en très mauvais état avec parfois des excréments sur les murs.

A Paris, nous avons pu constater une surpopulation en garde à vue, jusqu’à 7 dans une cellule ! Il  manquait aussi des kits d’hygiène intime pour les femmes.

Le centre de détention des Baumettes

Pour préparer notre visite à la prison des Baumettes, nous avons d’abord rencontré des membres du syndicat des avocats de France et de l’Observatoire International des Prisons (OIP). Un des sujets majeurs qui nous a été signalé était le remplacement des fenêtres normales par des fenêtres qui ne s’ouvrent pas, laissant passer un mince filet d’air. Ce système, installé durant l’été 2019 pour répondre aux doléances des riverains quant aux nuisances sonores, rend inamovible la plus grande partie de la fenêtre. Les avocats ont repéré ce problème, car nombre de détenus passaient dans l’unité disciplinaire après des dégradations sur ces fenêtres.

Nous avons effectué une visite de la prison des Baumettes le 14 juin de 9h à 12. Nous avons visité le quartier “femme”, et notamment le quartier “avec nourrisson”, puis le quartier “nouveau arrivant” et le quartier “isolement homme”, avant de finir par une visite des ateliers.

Lors de la visite, nous avons pu constater la suroccupation de la prison des Baumettes avec des taux d’occupation de 170% dans le quartier des nouveaux arrivants et de 160% dans les quartiers des hommes. Cette suroccupation conduit à un sous-encadrement des détenus. De plus, ils sont souvent 2 parfois 3 dans des cellules de 9m², ce qui conduit à des conditions de vie fortement dégradées. Cette surpopulation carcérale conduit à un rallongement anormal du temps passé dans le Quartier d’Accueil et d’Évaluation (QAE). Cela génère beaucoup de tensions dans ce quartier qui mélange prévenus et détenus. De plus, les nouveaux arrivants sont souvent plus compliqués à gérer du fait du choc carcéral.

Ce rallongement était déjà pointé dans le rapport du contrôleur général des prisons[1]. Dans son rapport, il expliquait aussi :

« Cette situation devrait cependant s’améliorer grâce à la mise en œuvre d’une convention‐cadre de répartition des écrous entre les centres pénitentiaires de Marseille et d’Aix‐Luynes et à l’adoption d’un protocole de régulation carcérale. »

Nous avons pu vérifier que la répartition des détenus avait bien lieu avec Aix-Luynes, mais pour autant en 3 ans, rien n’a changé concernant la surpopulation carcérale aux Baumettes.

R°1 : Je recommande une réflexion sur notre politique carcérale et sur les solutions alternatives aux peines carcérales.

Concernant les fenêtres, nous avons aussi pu constater que le nouveau système, mis en place suite à une plainte du voisinage à cause du bruit, n’est pas adapté du tout. En théorie, il est censé avoir un courant d’air entre des petits orifices de la fenêtre fermée et un récupérateur d’air (souvent bouché) dans la pièce. En réalité, il n’y a pas un brin d’air. Les détenus se plaignent d’avoir le sentiment d’étouffer en plein été. La température ne baisse pas en dessous de 27°C la nuit selon une détenue qui dispose d’un thermomètre. Comme les détenus ne peuvent pas contrôler la température des douches, l’eau est souvent chaude et donc réchauffe la pièce autour de 30°C. Enfin, les pièces demeurent humides, le linge ne sèche pas et certaines détenues se plaignent des conséquences du manque d’aération sur leur santé.

R°2 : Je recommande un retour immédiat aux anciennes fenêtres pour que les détenus puissent avoir de l’air dans leurs cellules.

Les détenus rencontrés lors de la visite des ateliers (PAO, bijoux, coutures, usinage) étaient satisfaits du travail mené dans ces ateliers où ils ne sont rémunérés que 5,80€ par heure.

D’autres critiques mineures ont été formulées par les détenus, comme le délai très long pour les commandes de fournitures : plus de trois semaines pour un pack d’eau.

Nous avons aussi été alerté sur six détenus en grève de la faim dans le quartier à l’isolement. Un détenu est dans ce quartier depuis plus de deux ans. Les autorités de la prison ne nous ont pas donné plus d’indications, mais ont confirmé ces grèves de la faim.

Les personnels nous ont aussi fait part de leurs difficultés. Ils sont en sous effectifs chroniques, les salaires et les conditions de travail sont insuffisamment attractifs. Certains nous ont aussi expliqué que le nouveau site des Baumettes 2 était moins bien pensé que l’ancien, certes complètement vétuste. Par exemple, les soins sont au 4ème étage, ce qui rend difficile leur accès. Le système de refroidissement de l’air est largement inopérant.

R°3 : Je recommande que les plans de construction des baumettes 3 fassent l’objet d’une meilleur concertation avec le personnel pénitentiaire. 

 

Le centre de détention d’Aix- Luynes

 Nous avons visité, le 15 septembre 2023, les centres pénitentiaires de Aix Luynes 1 construit en 1990 et celui d’Aix Luynes 2 construit en 2018.

Nous avons d’abord pu constater que ces centres pénitentiaires sont en surpopulation chronique. Le nombre de détenus est en constante augmentation passant de 1418 en 2018 à 2058 en 2022. Au 1er janvier 2023, le taux d’occupation était donc de 138% en moyenne, masquant de grandes disparités selon les quartiers. Certains quartiers spécifiques ont des taux d’occupation inférieurs à 100 % (QPR, CNE, SAS, Quartier mineurs). Dans le même temps, celui des quartiers maison d’arrêt majeurs est en moyenne de 148 % (137 % pour Aix1 et 155 % pour Aix 2).

D’autre part, le manque de personnels est criant. Il y a 498 personnels sur un effectif théorique de 579 selon les syndicats. Mais la surpopulation, un management délétère et ce sous-effectif chronique conduisent à de nombreux arrêts maladies. L’effectif réel tournerait à 427 sur les 579 théoriques. Le sous-effectif est aussi dû à des difficultés de recrutement, les salaires étant trop bas et les conditions de travail, trop dégradées. De plus, sur Aix les conditions de logements sont difficiles. Comment se loger quand les loyers sont de plus 1000€ et les salaires nets en dessous de 1600€ ?

En conséquence, les conditions se dégradent pour les personnels et les détenus. En 2022, il y a eu 122 agressions physiques envers des personnels, en augmentation de 43% par rapport à 2021. Il y aussi eu 400 actes de violences entre détenus, là encore en augmentation 33% par rapport à 2021.

En 2022, on comptabilise aussi 5 suicides et je n’ai pas réussi à obtenir le chiffre des tentatives de suicides.

Recommandation N°1 : Diminuer la surpopulation carcérale et augmenter les effectifs de gardien de prison

Le parloir avocat

Lors de notre visite, nous avons pu constater plusieurs dysfonctionnements. D’abord, les salles d’attente du parloir avocat ne sont pas climatisées. Cet été on a atteint les 52°C, un vrai sauna avec des malaises d’avocats et de détenus. Par conséquent, l’attente se fait dans la salle d’examen médical. Ceci peut poser des problèmes quand il y a plusieurs détenus qui devraient être séparés. Et le lit médical a lui été transféré en salle de visio (photo ci-après) et doit donc être déplacé quand il y a des visios ! Les arguments de la direction sur l’impossibilité de climatiser à cause des réglementations de construction me semblent fallacieux. D’autres salles et les bureaux de la direction ou du SAS sont climatisés….

Enfin, le manque de personnels est particulièrement criant pour les parloirs avocat et famille. Parfois, ils ouvrent avec moins de 8 gardiens, alors que l’effectif théorique est de 12 et l’effectif minimal de 8. Ce manque de moyens a des conséquences sur les droits de la défense. En effet, une note de service limite le passage des avocats.

Recommandation N°2 : Climatiser la salle du parloir avocat

Recommandation N°3 : Ne pas ouvrir le parloir avocat lorsque en dessous de 8 gardiens de prisons

Les ateliers

Il y a environ 140 détenus (80 sur Aix 1, 60 sur Aix 2) qui ont accès à un travail dans les ateliers. Le temps d’attente pour l’accès aux activités varie de 2 mois à 1 an. Ce sont des sous-traitants qui gèrent cette activité. Les détenus sont rémunérés 460 € net pour 24h (soit 40% du SMIC). Le passage des anciens contrats de 18h à celui sur 24h a été mal anticipé avec beaucoup de travail pour le personnel administratif du fait d’un changement de logiciel.

La maison d’arrêt 3 de Aix 1 (MA3)

Il n’y a que 6 surveillants au lieu de 12. Il y a donc 1 seul surveillant par étage. Ceci augmente le risque de violences, car « il est beaucoup plus difficile de maîtriser un détenu quand on est seul, que quand on est deux » explique un surveillant. Ce sous-effectif ne permet pas d’éviter les violences entre détenus. Un viol a eu lieu la semaine précédant notre visite.

Il y a actuellement 12 matelas au sol sur le MA3, mais on est monté à 38 matelas selon les syndicats. La direction a préféré installer des lits picots quand les détenus le demandaient, à la place des matelas sur le sol.

Les quartiers disciplinaires et d’isolement

 L’encadrement est plus stable avec un fonctionnement en brigade mieux organisé qui génère selon les personnels moins d’arrêts de travail. Les conditions y sont par contre difficiles et des rénovations s’imposent. Les douches collectives sont par exemple insalubres.

Le SAS à Aix 2

C’est un quartier de semi-liberté de 99 places. Il est relativement récent et les conditions semblent bonnes. Certains personnels estiment que certains détenus sont acceptés trop rapidement au SAS avec des erreurs d’évaluation ou une volonté de libérer des places dans les autres quartiers. Il y a eu plusieurs évasions récemment. Les détenus ont la possibilité de travailler dans l’oliveraie qui jouxte la maison d’arrêt.

[1] https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2021/09/Rapport-de-la-troisi%C3%A8me-visite-du-centre-p%C3%A9nitentiaire-des-Baumettes-%C3%A0-Marseille-Bouches-du-Rh%C3%B4ne.pdf

Partager cet article :

les autres publications