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Questions stratégiques posées par 2017

Des camarades ont proposé une contribution expliquant leur souhait d’aborder à l’AG de juin les débats stratégiques. Nous les rejoignons sur la nécessité de commencer ce débat, mais cela ne signifie pas pour nous de reporter notre décision concernant 2017. Aborder le débat stratégique dès maintenant permet de clarifier l’origine de certaines de nos divergences tactiques. Au moins trois positions relevant de stratégies différentes se sont exprimés : relativiser l’importance des échéances électorales, défendre une candidature unique à gauche de Hollande dont le cœur serait la gauche du PS, le PCF et EELV.., défendre une candidature de la gauche radicale avec pour centre de gravité en termes de programme et d’orientation serait ceux du FDG.

 

Notre horizon est de faire en sorte qu’un jour notre projet politique puisse être mis en œuvre. Ce projet, pour faire simple, vise l’émancipation humaine et la préservation de la planète. Les moyens pour y arriver reposent sur trois piliers : une plus grande socialisation des moyens de production, une gestion écologique de la planète et l’exigence d’une démocratie radicale dans la gestion de la cité comme au sein du travail.

 

Les principaux obstacles auxquels nous faisons face sont de deux ordres. D’abord, ceux qui dirigent économiquement et politiquement la planète ne nous laisseront pas faire. La lutte des classes est violente et comme les tenants de l’ancien régime ils ne lâcheront pas aisément le contrôle des moyens de production. Le second obstacle est de nature différente. Nous ne pensons pas faire le bonheur des peuples sans eux. Par conséquent, il faut gagner sur nos valeurs une majorité d’idées (i.e la bataille pour l’hégémonie) et que les peuples deviennent acteurs de ces transformations.

 

Les moyens que nous pouvons mettre en œuvre sont de trois types.

  1. Les luttes sociales et politiques ainsi que l’action citoyenne produisent de l’émancipation au cours des processus de lutte et participent du rapport de force.
  2. Les pratiques alternatives (i.e des gisements de communisme), qui vont des AMAP aux ZAD en passant par les SCOP ou la sécurité sociale donnent matière à nos idées.
  3. Les positions institutionnelles sont potentiellement des points d’appui pour nos luttes.

 

Il ne faut pas opposer ces différents champs (citoyen, syndical, social, institutionnel) ni ignorer les différences de temporalité et les spécificités propres à chacun de ces champs. Un des axes importants d’Ensemble est de créer un front politique et social durable permettant la connexion entre eux[1].

 

Enfin, il y a dans le mouvement social un débat concernant la question du pouvoir central. Certains pensent que nous pouvons changer la société sans prendre le pouvoir. C’est partiellement vrai, la société peut changer et se réformer dans le processus de luttes politiques et de luttes sociales. Mais gagner la guerre contre le capital et sortir de la société de consommation nécessitera de s’affronter directement aux intérêts de ceux qui doivent leur richesse et leur pouvoir à ce système. Pour cela nous devons leur infliger défaites à l’échelle des nations, et retirer les appareils d’état[2] à l’oligarchie qui nous dirige.

 

Il y a plusieurs façons de renverser un pouvoir oligarchique : la guerre populaire prolongée, la grève générale insurrectionnelle, les élections, ou une combinaison de ces stratégies. La guerre est le processus qui a eu le plus de succès (Chine, Cuba, d’une certaine manière la Russie aussi). Mais ce processus a un coût exorbitant et s’est révélé inefficace en termes d’émancipation. La grève générale même lorsqu’elle crée des embryons de pouvoir populaire ne débouche que rarement sur une insurrection susceptible de renverser l’état au profit d’un pouvoir populaire durable. Les précédents de 1936 ou de Mai 68 montrent  que la République bourgeoise est pour le moins, résiliente face à ce type de processus[3]. Restent les élections, mais ces dernières n’ont pas automatiquement d’impact décisif sur le pouvoir du capital et le noyau central de l’état. Nous devrons donc travailler à une dialectique combinant mobilisation sociale et politique, conquête d’espaces partiellement libérés de la tutelle du capital, refonte institutionnelle d’ensemble, pouvoir constituant articulant démocratie représentative issue du suffrage universel et démocratie plus directe permettant un contrôle citoyen. En plus de renverser le pouvoir en place, nous devons créer de meilleures conditions pour l’émancipation, le contrôle du pouvoir et l’autogestion.

 

Notre objectif stratégique devrait donc être la mobilisation populaire et l’émergence d’un bloc au pouvoir alternatif à l’oligarchie actuelle. Il est illusoire dans un rapport de force qui nous est défavorable de croire que gagnerait un gouvernement des travailleurs s’engageant directement dans la socialisation des moyens de production et l’expropriation des capitalistes…Il y aura donc des étapes et de multiples processus inachevés et imparfaits. Par contre, nous devons défendre la perspective d’un gouvernement de combat prêt à s’attaquer au monde de la finance. Nous ne serons sûrement jamais majoritaires seules. Il faudra probablement une union d’un genre nouveau appuyé par un large mouvement populaire dont le contour peut être celui présent dans l’appel des 100. Mais tout le débat est de savoir quel est le centre de gravité de force que nous défendons. En ce qui nous concerne, nous pensons que le centre de gravité doit être le positionnement politique du FDG avec trois piliers : éco socialisme, VIème république et sortie des traités européens. Sur ce programme politique, il est possible de réunir un bloc social (employés, ouvriers, précaires, chômeurs et même une partie de la petite bourgeoisie) qui devienne majoritaire au sein de la gauche et qui puisse créer un rapport de force vis à vis d’une gauche plus réformiste.

 

Un tout autre projet peut émerger de la crise de la gauche. Ce projet peut avoir comme cœur la gauche du PS (Aubry, Montebourg) et une partie du PCF et d’EELV. Mais ce projet vise à reconstituer une union de la gauche qui in fine mènerait une politique sensiblement similaire à celle de Hollande faute de vouloir s’affronter aux intérêts de la finance. De plus, il n’est pas du tout sûr que ce projet alternatif recueille plus d’audience qu’un projet plus radical mettant notamment en cause les traités européens et la logique du système[4]. En effet, ce projet plus « mou » attirera plus les classes moyennes supérieures, mais laissera probablement les classes populaires dans l’indifférence. C’est dès 2017 que nous devrons peser sur ces choix de recompositions.

 

L’autre débat concerne la forme de la force politique qui ensuite portera ce projet notamment après 2017. Nous le voyons ailleurs, les voies de la recomposition politique sont diverses et assez imprévisibles : le mouvement bolivarien au Vénézuéla, le MAS en Bolivie, Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Corbyn en GB, Sanders aux USA, le HDP en Turquie. De plus, la forme de ces recompositions politiques ne suit pas mécaniquement celles des luttes qui les ont précédées. Ces recompositions ne sont pas non plus toutes progressistes comme en témoigne le Mouvement 5 étoiles en Italie. Mais toutes ces recompositions ont été incarnées par des leaders charismatiques et ont su porter des propositions politiques en résonnance avec les attentes d’une partie importante de la population. C’est à ce critère que nous pouvons juger les différents scénarios en présence pour 2017. Par contre, pour qu’il émerge une force politique durable de ces processus, il faut traduire ces dynamiques sociales et électorales en dynamique organisationnelle durable. C’est sur cet aspect que nous avons un rôle important à jouer pour que du meilleur de « l’ancien » et « du nouveau » émerge une force politique d’un genre nouveau capable d’agir sur le champ institutionnel, mais également de donner force et sens aux mouvements sociaux.

 

Nous ne savons pas a priori où prendra la dynamique. Nous ne sommes pas sûrs que 2017 soit une étape décisive. Mais un bon score aux échéances de 2017 sera de toutes façons un atout solide pour la construction d’un pôle de radicalité. Cette dynamique peut provenir des tentatives de recompositions des appareils politiques (l’hypothèse initiale d’Ensemble), même si la logique du cartel d’organisation est à bout de souffle, comme venir à la marge de ces derniers (ce qui est le pari de Mélenchon). Le plus souhaitable serait probablement une convergence des deux types de recomposition.

 

Tout ce qui précède ne signifie pas pour autant que l’élection présidentielle surdétermine toutes nos tâches et soit l’alpha et l’oméga de notre stratégie. Mais c’est un moment politique important dans le champ proprement institutionnel. En tant que militants, nous avons aussi beaucoup à faire sur le champ syndical (rénovation des syndicats et unité syndicale) ou sur le champ social (de Notre Dame des Landes en passant par Nuit Debout). Opposer ces tâches ou vouloir les hiérarchiser est stérile. Mais Ensemble est un mouvement politique, pas un syndicat ni un mouvement social. Nos militants doivent être dans ces mouvements. Nous devons débattre de ce que nous y apprenons et de comment nous y agissons. Mais il est légitime à Ensemble que nous débattions des échéances proprement politiques dans le champ institutionnel et que nous tranchions le cas échéant nos choix tactiques à l’aune de nos ambitions stratégiques.

 

Hendrik Davi (Ensemble Marseille), Nanie Bellan (Ensemble Martigues)

 

[1]                En son temps le PCF a su jouer sur les trois tableaux : un parti, le lien avec les syndicats, les associations et intellectuels influencé par le PCF. Par contre, il n’a pas su ni respecter l’autonomie de chacun des champs, ni faire vivre le débat critique en leur sein, ni donner leur place aux citoyen(ne)s engagées.

[2]                                 Appareil qui diffère du pouvoir politique et qui a sa propre autonomie. C’est un autre débat complexe qu’il faudra aussi aborder.

[3]                                 Ce qui ne veut pas dire que Mai 68 n’a pas joué un rôle décisif dans le rapport de force et dans la lutte des classes, mais cela n’a pas permis un changement du bloc au pouvoir au sommet de l’état.

[4]                Seul Aubry est plus populaire que Mélenchon et ce dernier pourrait être devant un candidat social libéral comme Macron ou Hollande ce qui n’est pour l’instant pas le cas de Montebourg

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