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Pourquoi supprimer le HCERES ?

Cette semaine, nous avons voté un amendement de suppression du HCERES que j’avais déposé en commission spéciale lors de l’examen du projet de loi sur la simplification de la vie économique. Il devrait être voté le 5 avril en séance. Je reviens sur les raisons qui m’ont poussé à proposer cette suppression.

Le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES) a remplacé l’AERES en 2013. Il est chargé d’évaluer (i) les établissements d’enseignement supérieur et leurs regroupements, les organismes de recherche, les fondations de coopération scientifique et l’Agence nationale de la recherche, (ii) les unités de recherche et (iii) les formations et diplômes des établissements d’enseignement supérieur.

Sur le papier, c’est une agence d’évaluation indépendante sur le modèle des agences de notation, qui donne des notes à toutes les structures de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle vise le bon fonctionnement du système et l’intégrité des scientifiques.

Sur le fond, cette agence et l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) sont les pierres angulaires de la mise sous tutelle de la recherche publique et la mise en place du « New Public Management » dans ce secteur. Expliquons le mécanisme.

Le champ scientifique a progressivement gagné son indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et religieux. C’est une histoire qui débute au XIIIème siècle avec la création d’universités qui s’affranchissent des pouvoirs politiques et religieux locaux. Mais les relations entre les pouvoirs de l’État, ceux des églises et les universités n’ont cessé d’être tumultueuses. Tout le monde connaît l’issue du procès de Galilée. Mais la relative indépendance et l’autonomie du champ scientifique sont acquis des Lumières. Le modèle Humboltien des universités, né en Allemagne, sacralise la liberté académique et la liberté pédagogique. Les savants sont les mieux placés pour savoir quelles sont les recherches qu’ils doivent mener pour faire avancer leurs disciplines, c’est la liberté académique. Les enseignants sont les mieux placés pour savoir comment partager le savoir, c’est la liberté pédagogique.

En France, la loi Faure entérine ces deux principes. Les universités « déterminent leurs activités d’enseignement, leurs programmes de recherche, leurs méthodes pédagogiques et les procédés de contrôle et de vérification des connaissances ». Les conseils des unités d’enseignements et de recherche sont aussi désignés démocratiquement par scrutin. Les enseignants ont compétences exclusives pour se répartir les enseignements, « désigner les jurys et décerner les titres et les diplômes ». Enfin, « les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche ».

C’est tout cet édifice qui est ébranlé avec une succession de lois à partir des années 2000. Cet agenda néolibéral poursuit au moins trois objectifs. Le premier est de faire de la production du savoir et de sa transmission des services marchands comme les autres, sur lesquels il est possible de faire du profit. Le second est de mettre la production de savoir scientifique au service de la compétitivité des entreprises par le développement d’innovations technologiques. Le troisième vise à faire des acteurs de la production du savoir des micro-entrepreneurs de leur renommée scientifique, en compétitions les uns avec les autres pour les ressources financières et humaines. La conséquence de ces objectifs est d’augmenter le contrôle sur le travail des chercheurs et des enseignants. Les orientations de recherche doivent correspondre aux besoins en innovations, les orientations d’enseignement aux besoins en compétences du bassin d’emplois. Comme les acteurs sont des fonctionnaires, il fallait trouver un moyen de les contraindre à changer leurs thèmes de recherches et les enseignements dispensés.

Nous sommes ainsi passés de chercheurs fonctionnaires travaillant avec des crédits récurrents et décidant assez largement de leurs orientations de recherche et de leurs méthodes pédagogiques, à des permanents qui passent leur temps à chercher de l’argent pour employer une armée de précaires. Comme je l’ai dit, l’ANR et le HCERES sont les deux piliers de cette grande transformation.

L’ANR est une agence de moyens qui distribue l’argent sous forme de projets. Le taux de succès plafonne à 25%, donc 75% des projets montés sont recalés. Ce dispositif permet en amont d’orienter la recherche. L’HCERES complète le dispositif en aval. En évaluant toutes les institutions, il menace de mauvaises notes celles qui ne publient pas assez ou qui répondent insuffisamment aux projets (ANR ou Européens).

Ces évolutions ont favorisé un système d’évaluation de la science basé sur la bibliométrie et des indicateurs quantitatifs en termes de publications et de citations, plutôt que sur la qualité des questions scientifiques ou sur la cohérence et la continuité recherches. Ce système favorise la compétition, mais surtout l’explosion du nombre de publications. Les burn out se multiplient, plus personne ne lit vraiment les articles et la science est menacée. Pire les fraudes se multiplient. Du coup, on donne comme mission à l’instance qui a favorisé l’émergence de ses fraudes[1], le HCERES, de faire respecter l’intégrité scientifique. Pour ceux qui ont suivi ces évolutions, c’est proprement orwellien.

Plus concrètement, les évaluations sont de plus en plus abêtissantes. Les conclusions des jurys sont fréquemment remises en cause par l’administration du HCERES. Mais surtout, paradoxalement les évaluations n’étaient pas suivis d’effets directs. En effet, les établissements, heureusement, restaient souverains quant à leur recrutement et aux fermetures d’unités ou de formations. Par ailleurs, ce sont les établissements et non l’HCERES qui évaluent les personnels. Donc le ministère a commencé à vouloir rendre plus effectives les évaluations, en conditionnant les moyens alloués aux notes du HCERES. On pourrait donc imaginer que des universités soient contraintes de fermer des formations, car une instance bureaucratique a évalué négativement ses formations.

Il est ainsi facile de comprendre pourquoi dans un climat Trumpien où des ministres stigmatisent certaines recherches[2], le HCERES peut devenir une machine extrêmement dangereuse pour la liberté pédagogique et académique. C’est ce qui explique que les avis du HCERES soient de plus en plus contestés par la communauté scientifique. Par exemple, la 22ème section du CNU[3] (histoire et civilisation) s’est indignée le 3 mars dernier des avis défavorables délivrés par le HCERES à plus de 25% des formations inclus dans la vague E d’évaluation du HCERES.

Cette section a voté la motion suivante qui est très explicite :

« La 22e section du CNU s’indigne des avis défavorables délivrés par le HCERES à plus de 25% des formations de la vague E. Elle considère que ces évaluations vexatoires sont déconnectées de la réalité des établissements et ne tiennent pas compte de leur sous-financement structurel. Elle récuse leurs conclusions produites selon un modèle uniforme conçu pour appliquer une politique indifférente à la diversité des disciplines, des publics estudiantins et des territoires. À l’heure où la liberté d’enseignement fait l’objet de menaces redoublées, particulièrement en sciences humaines et sociales, ces évaluations constituent une nouvelle attaque contre des collègues confrontés à des années de sous dotation et de remise en cause de leurs libertés académiques ».

Évidemment, la suppression du HCERES suscite l’émoi des bureaucrates en herbe. Comment va-t-on remplacer cette agence ? La première réponse c’est que la communauté scientifique a très bien vécu sans cette agence et son ancêtre (AERES) jusqu’en 2006. Mais surtout, l’important est que les scientifiques recouvrent toute leur indépendance quant à l’organisation des évaluations. Les structures d’évaluations doivent donc être démocratiques et non technocratiques.

Pour l’évaluation des unités, c’est très simple. Elles doivent être menées par l’établissement[4] ou l’université, qui est la principale tutelle de l’unité. Les critères d’évaluations doivent être débattus par des instances élus démocratiquement typiquement les conseils scientifiques[5]. Pour les formations, il faut distinguer une validation des formations déjà opérées par le CNESER[6] et une éventuelle évaluation qui pourraient chapeauté par les sections du CNU[7].

Enfin, à ceux qui expliquent que nous avons besoin d’un regard extérieur pour les évaluations. C’est tout à fait vrai, mais ce n’est pas le sujet. Il faut dissocier l’organisme qui met en œuvre les évaluations et la composition des jury d’évaluations. Tous les recrutements de maîtres de conférences ou de chercheurs sont organisés par les établissements avec des jurys qui impliquent des personnels qui peuvent être extérieurs aux établissements, voir étrangers.

Enfin, cela ne viendrait à personne l’idée d’aller évaluer les unités de recherche des laboratoires pharmaceutiques comme SANOFI qui profitent des 7,6 Md€ du Crédit Impôt Recherche (CIR).  Il serait peut-être possible de recycler le HCERES pour enfin évaluer l’usage du CIR par les laboratoires de recherche privée.

Je conclurai avec les mots d’un collectif de chercheurs qui a publié en 2022 une tribune dans le Monde : « La bureaucratie du HCERES nuit gravement à la recherche française : sa nouvelle politique d’évaluation va se traduire par un épouvantable gaspillage de moyens humains, intellectuels et financiers.»[8].

Ma défense de l’amendement en commission

[1] L’exemple typique est celui de Didier Raoult, le biologiste français le plus cité au monde, qui a organisé un système de management toxique permettant une très grande productivité scientifique au détriment de la qualité et de l’éthique. Ce type de fonctionnement était favorisé par ce système et a conduit au fiasco sur la chloroquine….

[2] Tout le monde se souvient de Vidal critiquant l’islamo-gauchisme au CNRS…

[3] Conseil national des universités

[4] Le CNRS, l’INRAE, INSERM, IRD, CEA, CIRAD…

[5] Celui du CNRS fonctionne très bien :  https://www.cnrs.fr/comitenational/

[6] Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il faudrait d’ailleurs que l’avis soit conforme et non un simple avis pour s’assurer de l’homogénéisation des formations

[7] Conseil national des universités

[8] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/10/la-bureaucratie-nuit-gravement-a-la-recherche_6108818_3232.html

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