Mon entretien donné à Rue de la République avec l’a Marseillaise et Maritima
Didier Gesualdi : Que répondez-vous à ceux qui jugent le spectacle de la Nupes assez pitoyable, avec des dirigeants qui se déchirent et n’apportent pas de réponse pour le quotidien ?
J’ai envie de dire qu’il faut partir des enjeux de la planète. On risque un effondrement de l’écosystème et la victoire de l’extrême droite en 2027. Je pars toujours de ça.
Didier Gesualdi : Ce n’est plus un épouvantail qu’on agite ?
Non, c’est ma conviction profonde. Le bloc central, c’est très bien expliqué par des auteurs comme Piketty et Cagé, est en train de voir son espace se réduire. Année après année, élection après élection, il est de plus en plus bourgeois. Et quel que soit le candidat qu’ils vont nous sortir, il est probable que ça se joue entre nous, la gauche, et l’extrême droite. Si on n’est pas rassemblés, l’extrême droite gagne. Ce n’est pas un épouvantail : elle est au pouvoir en Pologne, en Hongrie, en Italie. Et ses idées continuent de progresser partout, y compris au sein de la Macronie. Il n’y a pas d’autre solution pour gagner que le rassemblement de la gauche et des écologistes sur une ligne de radicalité. Aux législatives, on l’a fait !
Léo Purguette : Ça n’a pas suffi pour gagner…
Bien sûr, mais enfin, c’est déjà pas mal. On a eu 150 députés. On ne les aurait jamais eus si on était partis divisés. Si on arrivait à se rassembler à la présidentielle, on serait au second tour, ça c’est sûr. Il faut maintenir l’hypothèse de ce rassemblement, ne pas le faire serait criminel. On a des désaccords entre nous. Comment on les règle ? Par le débat et par la démocratie. On ne peut pas continuer comme ça. C’est délétère. Ma collègue Clémentine Autain a poussé un coup de gueule, elle a eu raison.
Léo Purguette : C’est votre candidate pour 2027 ?
C’est trop tôt. Je suspends mon jugement. La première chose, c’est de passer les européennes, probablement divisés, et après il faudra décider d’une mécanique pour avoir un candidat commun en 2027. Quel sera le candidat ? Je défendrai quelqu’un ou « quelqu’une », mais si les Français décident que ce sera Fabien Roussel, ce sera Fabien Roussel. Si c’est Clémentine Autain, ce sera Clémentine Autain, ou Ruffin ou Jean-Luc Mélenchon. Il faut un candidat commun et un moyen de le désigner.
Moi, je me suis toujours prononcé comme je voulais. En tant que député, je l’ai dit, je le répète : dans notre groupe, on fonctionne démocratiquement. Pour Adrien Quatennens [député condamné pour violence conjugale Ndlr.], on a eu des débats, on n’était pas d’accord entre nous, il y a eu plusieurs votes. Il a finalement été exclu six mois. Concernant le fonctionnement de la France insoumise en tant que telle, j’ai écrit des articles, j’y reviens dans mon livre, je suis transparent : pour moi, les mouvements gazeux ne peuvent pas fonctionner démocratiquement, parce qu’ils n’ont pas d’adhérents. J’ai un désaccord là-dessus. Je pense qu’il faut un fonctionnement démocratique.
Léo Purguette : Manuel Bompard vous a demandé de vérifier si vous étiez toujours insoumis pour ce type de propos. Comment dépasser ce fonctionnement binaire dedans-dehors ?
Je suis encore insoumis. Posez la question à Manuel Bompard sur le fonctionnement, moi je la pose régulièrement. J’ai un désaccord, je l’assume et je continuerai à l’assumer.
Léo Purguette : Vous nous parlez d’écosocialisme, mais ce que vivent les gens, c’est surtout un capitalisme vert dans lequel l’écologie devient la justification des maux qu’ils endurent. Difficulté à circuler, à boucler les fins de mois… Comment dépasser cet antagonisme écologie/classes populaires ?
Il faut repartir des luttes, on arrive à y mettre des gens ensemble, à bâtir du commun. Je prends un exemple : récemment, je suis allé à Fuveau où le propriétaire d’un golf a décidé de construire des villas piscinables. Ce qui était passionnant, c’est que les jeunes qui se sont impliqués étaient d’Extinction rebellion, des jeunes des classes moyennes. Ils avaient comme alliés des très riches. C’était la première fois que j’avais devant moi une lutte vraiment interclassiste, car il y avait un intérêt commun. Il faut arriver à faire en sorte que la lutte contre la pollution soit une lutte que se réapproprient les classes populaires. Il faut éviter de faire une écologie qui mette en difficultés les classes populaires et qui les culpabilise. La responsabilité est collective et ce sont toujours les riches qui polluent le plus. Sur les gaz à effet de serre, c’est criant.
Léo Purguette : Vous êtes un scientifique, c’est la Fête de la science ce week-end. Il y a un lien de confiance qui se désagrège entre la science, la rationalité et la population, on l’a vu notamment lors des campagnes de vaccination. Comment le reconstruire ?
C’est un très vaste sujet qui me passionne. J’en ai pris conscience avec le climatoscepticisme, avec le Covid aussi. Je l’ai constaté de près puisque ma compagne est médecin. Je travaille beaucoup là-dessus, sur l’idée de science participative, à la rencontre entre scientifiques et citoyens. Pour y parvenir, on aura vraiment besoin de refonder le service public. C’est vraiment mon chantier, j’y travaille activement. Refonder le service public de la recherche et de l’enseignement supérieur, c’est essentiel pour que les chercheurs, au lieu de chercher de l’argent, puissent travailler et discuter avec les citoyens.
Didier Gesualdi : Vous publiez « le capital c’est nous », chez Hors d’atteinte. Pour vous, la politique doit tenir compte essentiellement de la question écologique ?
Dans le livre, c’est vraiment équilibré. Les inégalités n’ont jamais été aussi criantes dans notre société et, en même temps, on est face à un mur. Ce mur, c’est le mur écologique. En tant que chercheur, je travaille depuis 2004 sur l’effet du changement climatique sur les forêts. Pour moi, il y a une impossibilité à continuer dans cette voie. On est dans une société où le mantra, c’est travailler plus pour gagner plus, pour consommer plus et à la fin, pour polluer plus. Tout ça pour que les actionnaires des grands groupes s’enrichissent de manière totalement indue. Cette maxime-là n’est pas tenable dans un environnement et une planète finis. Ce que j’essaye d’expliquer dans le livre, c’est qu’il faut arrêter cette logique infernale du capital. Marx avait déjà posé des jalons sur le fait que ce système nous conduit à beaucoup de crises. Je croise cela avec le féminisme, l’antiracisme…
Léo Purguette : Pourquoi ce titre ? À gauche, le capital, c’est plutôt le camp d’en face.
C’est un clin d’œil. Dans l’accumulation du capital, on a l’impression que ce sont les capitalistes qui en sont responsables et donc qu’on a besoin d’eux. La plus-value, le surtravail que s’approprie le capital, ce sont bien les salariés de ce pays qui le génèrent et pas le capitaliste parce qu’il est génial. La plupart du temps, d’ailleurs, celui qui est propriétaire du capital n’est même pas le PDG. Ce n’est même pas lui qui pense les investissements. Ce que je voulais rappeler, c’est que tout le capital accumulé dans peu de mains nous appartient. La société éco-socialiste que je défends, c’est une société dans laquelle on se réapproprie nos communs au travers de services publics, etc.
Didier Gesualdi : Ça ne marche pas comme ça dans le monde aujourd’hui.
C’est pour ça que je décris dans mon livre pourquoi il faudrait aller vers des révolutions et reprendre le volant aux capitalistes. Une des finalités de mon livre, c’est de décrire la société éco-socialiste telle qu’elle pourrait être. Ce n’est pas le socialisme soviétique.
Didier Gesualdi : Ce n’est pas le communisme ?
Non, ce n’est pas le communisme, c’est quelque chose d’intermédiaire. Non, ce ne sera pas un long chemin tranquille. On a besoin de construire des collectifs, des syndicats des partis politiques qui arrivent à reprendre le volant à ceux qui nous gouvernent. En gros, c’est la stratégie qui a permis au Parti communiste d’être la force principale, mais je pense qu’il faut changer de logiciel pour intégrer l’écologie et le féminisme. La stratégie pour conquérir le pouvoir, ce sont les luttes, les grèves et puis les élections dans un processus de révolution permanente.
Léo Purguette : Pour relever le défi climatique on demande aux Français de passer à l’électrique, mais des forces comme la vôtre ou comme EELV, proposent de fermer les centrales nucléaires. Est-ce que c’est tenable, crédible ?
C’est un des problèmes que j’ai avec le tout électrique et aussi le nucléaire, c’est que ça élude le vrai débat. Le vrai débat, c’est qu’il faut aller vers la sobriété énergétique et matérielle. Parce que, quand bien même on utiliserait plus d’énergies fossiles, ce sont des batteries, des ressources naturelles qu’il faut aller chercher. Ce n’est pas tenable non plus. Le problème n’est pas que climatique. À chaque fois que vous consommez de l’énergie et de la matière, cela provient d’une planète finie, donc il ne faut pas éluder le débat sur la sobriété. Il faut diminuer massivement notre consommation énergétique et de ressources. Pour cela, il faut des transports en commun et l’isolation des logements. Je pense que le nucléaire est une fuite en avant, ça empêche d’ouvrir le débat sur la sobriété et c’est dangereux. Mais ouvrons un grand débat, c’est ce qu’on avait proposé en 2012 avec les communistes, avec un référendum au bout.
Léo Purguette : À la fin de votre ouvrage, vous évoquez votre préoccupation pour le « jour d’après », de quoi s’agit-il ?
Ça me traumatise beaucoup. Je me dis, bon, Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain ou François Ruffin, gagnent en 2027 – je ne choisis pas. Comment on s’assure que ce ne soit pas une réédition de ce qui s’est passé en Grèce avec Syriza ou en France avec Mitterrand, Jospin, Hollande. Il faut, quand on arrive au pouvoir, réussir à changer suffisamment la vie des gens, à s’affronter suffisamment au capital, pour qu’on soit dans un processus révolutionnaire.
Bonjour M. le député. Pourquoi vouloir une liste unique aux européennes alors qu’on est sur un scrutin proportionnel et que c’est le sujet où la gauche est le plus tranchée, comme on l’a vu au référendum sur le traité constitutionnel européen ?
Je pense que c’est peut-être la seule fois où la liste unique aux européennes se justifie politiquement. Pourquoi ? D’abord parce qu’on a absolument besoin de traquer la résignation actuelle. Les électeurs de gauche sont résignés, ils croient qu’on ne peut pas gagner. Pour leur donner l’idée qu’on peut gagner, il faut absolument qu’on construise un récit d’ici 2027, où la gauche et les écologistes sont en tête et sont l’alternative à Macron. Si on a une liste unique à ces européennes, on se retrouvera probablement en tête, c’est ce que disent certains instituts de sondages, c’est un pari à faire. La deuxième raison, c’est que si on doit gouverner tous ensemble en 2027, il va falloir qu’on arrive à résoudre les contradictions qu’on avait sur le TCE. Donc dire qu’on n’est pas d’accord sur l’Europe, mais qu’on est capable de gouverner ensemble en 2027, ça me laisse rêveur.