La percée de Jean Luc Mélenchon dans les sondages, ainsi que la dynamique de la campagne de la France Insoumise reposent la question du rôle d’une victoire électorale dans un processus de transformation radicale de la société. Entre « élection piège à con » et « l’illusion parlementariste », il existe une voie médiane que je vais défendre ici. Pour résumer l’élection de Jean Luc Mélenchon est une condition nécessaire, mais non suffisante à une transformation révolutionnaire de la société.
Ce débat est d’actualité dans cette dernière ligne droite des élections de 2017. Une partie des abstentionnistes et des électeurs de l’extrême gauche présentés par Philippe Poutou et Nathalie Artaud, pensent que seules les luttes changent la société. D’autre part, certains pourraient s’illusionner sur le fait que dès le lendemain de notre victoire électorale le 7 mai, les jours heureux sonneront. Les deux positions sont fausses pour paradoxalement des raisons assez similaires qui ont trait à une méconnaissance des mécanismes du processus révolutionnaire et de la nature de l’état dans nos sociétés modernes.
La nécessaire adhésion du plus grand nombre
La transformation radicale de la société ne doit pas se faire contre la majorité de la population. La société est actuellement orientée pour satisfaire les intérêts d’une caste archi minoritaire, qui représentent moins de 1% de la population. Il est donc possible de fédérer le peuple et les différentes classes qui le composent, autour des intérêts communs des 99%, afin d’en finir avec le règne de cette oligarchie. Mais pour cela, il faut construire une commune adhésion autour de ces intérêts communs. Dans ce contexte, la bataille des idées est centrale afin d’acquérir l’hégémonie. Elle se mène au cours des luttes et grèves massives comme en 1995, 2003, 2005, 2009 ou 2016. Elle progresse aussi autour des mouvements alternatifs comme Alternatiba. Mais la bataille des idées se mène aussi dans les élections. Les deux débats pour la présidentielle en ont été l’expression. De plus, les élections permettent une mesure du niveau d’assentiment de la population autour d’un programme. Cette mesure est hélas souvent biaisée par des comportements électoralistes et le « vote utile ».
Sur ces points, la campagne de 2017 de la France Insoumise a été exemplaire sur le fond et la forme. Nous n’avons pas sacrifié la nécessaire radicalité du programme aux injonctions à l’unité. Contrairement à Tsipras, la rupture avec les traités et la menace de sortie de l’Union européenne est inscrite dans «l’avenir en commun». Nous serons légitimes dans l’exercice du rapport de force vis-à-vis des autres dirigeants européens pour obtenir l’harmonisation sociale et fiscale. Pour le social et l’écologie les jalons posés dans l’avenir en commun sont autant de points d’appui pour la suite. Sur la forme, la campagne a été centrée sur le programme depuis très longtemps et il a été largement popularisé à la fois dans les meetings de Jean Luc Mélenchon, mais aussi à la base par les milliers de groupes d’appui. L’insistance sur le programme est cruciale, car cela donne un horizon commun autour duquel on construit une adhésion potentiellement majoritaire.
Les éléments d’un processus révolutionnaire
Le mot révolution a longtemps fait office d‘épouvantail. Mais la crise économique de 2008, ainsi que le drame écologique l’ont remis au goût du jour, si bien que même Emmanuel Macron s’en réclame ! Commençons par définir les termes. La révolution citoyenne à laquelle nous nous référons au sein de la France Insoumise comprend (i) une révolution démocratique qui vise à redonner du pouvoir au citoyen (ii) une révolution sociale pour redonner du pouvoir au salarié et à remettre l’économie au service de l’homme et (iii) une révolution écologique visant à transformer nos modes de consommation et notre appareil productif. Évidemment, ces trois révolutions ne seront jamais achevées. La révolution sera toujours permanente et inachevée, c’est un processus toujours renouvelé. Il n’existe donc pas d’avant et d’après au sens strict. Mais il doit y avoir révolution, au sens d’un changement de direction.
Prenons l’exemple de la démocratie. Actuellement, la construction européenne nous impose un cadre non consenti par les citoyens français qui ont voté non au référendum de 2005. Il faut donc faire valoir le vote de 2005 et sortir des traités européens. La Vème république donne tout le pouvoir au président et le parlement n’est qu’une chambre d’enregistrement, nous devons sortir de ce système et refonder une nouvelle constitution. Les élus ne respectent pas leur mandat, ils doivent pouvoir être révoqués. Les salariés ont peu de pouvoir dans leur entreprise, ils doivent en acquérir plus, par exemple par le droit de réquisition en cas de fermeture de celle-ci.
Toutes ces mesures sont dans «l’avenir en commun». Mais évidemment, il faudra batailler pour mettre en œuvre ce programme avec des lois, des décrets et un suivi de leurs mises en œuvre. Les salariés devront faire valoir ces droits et pour cela ils auront besoin de syndicats plus forts et plus mobilisés qu’aujourd’hui. Sur la question sociale, la part du processus dépendant des luttes est encore plus importante. En effet, la loi fixe un cadre, mais la lutte pour la répartition de la valeur ajoutée entre le salarié et les actionnaires se déroule au sein de l’entreprise.
Donc l’élection ne fait pas tout, mais elle peut aider, car selon le cadre légal les rapports de force ne sont pas les mêmes. Il sera plus facile de lutter si la loi el Khomri est abrogée et si le gouvernement ouvre des négociations sur les 32h. Mais ceci à une condition : c’est que les appareils politiques ne musellent pas les syndicats comme le PCF a pu le faire par le biais de ses liens avec la direction de la CGT par le passé. La révolution citoyenne ne nécessite pas moins d’intervention populaire après les élections, mais au contraire plus.
L’état comme verrou et moyen[1]
L’état a un rôle ambivalent dans ce contexte. Contrairement à ce que laisse suggérer un certain imaginaire républicain, l’État actuel n’est pas une structure neutre. Il est construit pour servir le bloc au pouvoir qui est aujourd’hui constitué des classes dominantes représentant les intérêts du grand et moyen capital. Mais il est aussi impacté par la lutte des classes et donc il est composé de fonctionnaires sincèrement dévoués à l’intérêt commun.
L’orientation de l’état et les pouvoirs militaires et judiciaires, dont il dispose sont donc des verrous essentiels de la transformation sociale. Ce point est sous-estimé par les militants du NPA, de LO, ou des courants anarcho syndicalistes forts à Solidaires, mais aussi au sein de la CGT. En dernier recours face à une grève générale, le patronat dispose toujours de plus de réserves que les ouvriers et l’État peut envoyer l’armée et la police. Le renversement d’un État au service des plus puissants ne pourra jamais avoir lieu, seulement après une grève générale. C’est en partie la leçon de 1968. Après le mouvement de 2009, j’ai déjà traité de la différence entre le nécessaire processus de grève de masse et l’illusion de la grève générale suivant les textes de Rosa Luxembourg[2]. Il existe donc que deux manières de renverser la table, la lutte armée et le coup d’État (Mao, Lénine, Castro) ou la victoire à des élections générales (Allende, Chavez). La lutte armée et une guerre civile ne permettent pas ensuite de construire une société démocratique très sereinement. La révolution citoyenne est donc une voie plus raisonnable.
Mais comme l’État n’est pas neutre, une telle victoire ne fait pas tout. D’abord, les classes dominantes peuvent réagir par un coup d’État (ex. Allende et Chavez), voir même une guerre (ex. contre la Révolution française ou la révolution russe). Ces deux hypothèses sont peu probables en France, mais comme je l’ai écrit dans un précédent texte, le néo-fascisme peut être une solution pour le système[3]. Ceci pourrait expliquer pourquoi les attaques sur Mélenchon sont plus fortes que contre la candidate du Front National. Le mur d’argent menacera aussi de se dresser. Mais la pression se fera aussi sentir de l’intérieur sur le gouvernement et les parlementaires. Pour cela, il faut donc lutter pour garantir l’indépendance des parlementaires vis-à-vis des lobbys et des pressions de toute sorte. Le non-cumul des mandats, la signature de la charte par les candidats de la FI, les réunions publiques dans les circonscriptions et ensuite la révocabilité des élus sont des outils pour contrer cette pression. L’appareil d’état au sens propre pourra être un frein. Les hauts fonctionnaires de Bercy ne collaboreront par exemple pas aisément. C’est pour cette raison qu’une patiente refondation de l’état et de son personnel sera nécessaire. L’expertise syndicale, universitaire et associative devra pouvoir remplacer celles des énarques et ingénieurs des grandes écoles opposées à notre démarche. Les hauts fonctionnaires seront par le suite plus largement recrutés dans les docteurs et dans la promotion de personnels compétents. En d’autres mots, il faut casser la main mise de l’oligarchie sur l’appareil d’état.
L’état peut alors devenir un outil puissant au service du plus grand nombre. Car qui peut croire que l’on peut organiser la planification écologique et limiter le pouvoir des plus riches sans l’organisation d’un état ? Par ailleurs, un État républicain acteur économique et écologique n’est pas antinomique avec l’autonomie de collectivités locales et avec une plus grande autogestion dans les entreprises.
Il n’est pas dit que l’opportunité de « renverser la table » et d’avoir la possibilité d’engager un processus révolutionnaire se représente très vite. Il est donc crucial qu’il ne manque aucune voix à Jean Luc Mélenchon le soir du premier tour. La victoire est encore peu probable, mais ce qui est nouveau c’est qu’elle est possible !
Hendrik Davi militant à Ensemble et à la France Insoumise
Candidat aux législatives sur la Vème circonscription des Bouches du Rhône
Le 13 Avril 2017
[1] Je prolonge ici des réflexions plus largement expliquées dans deux précédents articles
[2] https://blogs.mediapart.fr/hendrik-davi/blog/191010/greve-de-masse-pour-aller-vers-un-processus-constituant
[3] https://blogs.mediapart.fr/hendrik-davi/blog/120317/menaces-postfascistes-vote-utile-et-unite-de-la-gauche