IVGÂ : des symboles et des actes
Une décision indispensable
Le 4 mars dernier, lâinscription dans la constitution de la « libertĂ© garantie aux femmes de recourir Ă lâIVG » a marquĂ© une Ă©tape importante dans la lutte pour le droit de disposer de son corps. Dans cette note de blog, je reviens sur cet Ă©vĂšnement historique.
Le contrĂŽle du corps des femmes est au cĆur du systĂšme de domination patriarcal. Ce contrĂŽle sâexerce en permanence, sur lâapparence physique, sur la sexualitĂ©, sur la maternitĂ©, etc⊠Dans le systĂšme patriarcal, le corps des femmes est considĂ©rĂ© comme un corps « à disposition »1. Lâexemple rĂ©cent le plus frappant nous a Ă©tĂ© donnĂ© par Emmanuel Macron lui-mĂȘme qui a rappelĂ© le devoir des femmes quant au « rĂ©armement dĂ©mographique ». Nâen dĂ©plaise au prĂ©sident, les femmes nâont aucun devoir de faire des enfants. Et non, les femmes ne sont pas Ă la disposition de lâĂtat, pas plus quâelles ne sont Ă la disposition des hommes.
Lâintime et le corps sont politiques et la dĂ©cision dâavoir ou de ne pas avoir un enfant doit ĂȘtre garantie Ă toute personne. Câest un droit fondamental qui en conditionne de nombreux autres comme les droits Ă lâĂ©ducation, au travail ou encore Ă la santĂ©.
Simone de Beauvoir écrivait :
“Â Nâoubliez jamais quâil suffira dâune crise politique, Ă©conomique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.”
Plus que jamais, il Ă©tait indispensable de voter la constitutionnalisation de lâIVG le 4 mars dernier et ainsi montrer toute notre vigilance pour protĂ©ger ce droit des nombreuses attaques quâil subit en France et dans le monde.
Partout dans le monde, le droit Ă lâIVG est attaquĂ©
Au cours des 30 derniĂšres annĂ©es, une soixantaine dâĂtats ont assoupli leur lĂ©gislation. Au total, 87 pays dans le monde autorisent lâIVG et 88% des femmes vivent dans un pays qui autorise lâavortement. Cependant, 41% des femmes en Ăąge de procrĂ©er vivent dans des pays oĂč la loi sur lâIVG est restrictive. 2
Cela a une consĂ©quence directe terrible : 40 000 femmes dĂ©cĂšdent encore chaque annĂ©e suite Ă des avortements clandestins, selon lâOMS. Cela reprĂ©sente 1 femme toutes les 19 minutes.
En Europe, plusieurs pays interdisent encore totalement lâIVG, câest le cas en Andorre et Ă Malte oĂč lâavortement est passible de 18 mois Ă 3 ans dâemprisonnement. La Pologne, aprĂšs avoir Ă©tĂ© un pays pionnier en Europe en Ă©largissant la possibilitĂ© dâavorter pour des motifs sociaux en 1959, est revenue en arriĂšre Ă partir des annĂ©es 1990. Câest maintenant lâun des pays les plus restrictifs dâEurope oĂč il nâest autorisĂ© quâen cas de danger pour la vie de la femme et en cas de viol ou dâinceste3. La politique nataliste menĂ©e par la Hongrie menace rĂ©guliĂšrement le droit Ă lâIVG autorisĂ© depuis 1950 dans le pays. Cela passe par des campagnes anti-avortement, lâinscription dans la constitution de la dĂ©fense de la vie du fĆtus dĂšs sa conception et depuis 2022, lâobligation pour les mĂ©decins de faire Ă©couter les battements du cĆur, pourtant sans intĂ©rĂȘt mĂ©dical. En Italie comme en Roumanie, un grand nombre de mĂ©decins refusent de le pratiquer, ce qui rend de fait ce droit trĂšs inaccessible. En 2019, câĂ©tait 7 gynĂ©cologues sur 10 qui refusaient de pratiquer lâIVG en Italie.
Le 24 juin 2024, aux Ătats-Unis, la Cour suprĂȘme a mis fin Ă lâarrĂȘtĂ© fĂ©dĂ©ral Roe vs Wade qui garantissait depuis 1973 le droit dâavorter sur tout le territoire. Depuis cette date, chaque Ătat a pu fixer ses propres rĂšgles en matiĂšre dâinterruption volontaire de grossesse. RĂ©sultats, 14 Ătats ont restreint le droit Ă lâavortement. Certains Ătats comme le Texas, la Louisiane ou encore le Mississippi lâont totalement interdit mĂȘme en cas de viol ou dâinceste4.
AprĂšs lâĂ©lection du prĂ©sident conservateur Javier Milei en Argentine en novembre 2023, le droit Ă lâavortement est Ă nouveau menacĂ© seulement quelques annĂ©es aprĂšs son vote en 20205.
LâIVG en France : un droit arrachĂ© de haute lutte
Aujourdâhui en France, toute personne a le droit dâinterrompre sa grossesse avant la fin de la 14Ăšme semaine de grossesse. Câest le fruit dâune longue lutte depuis plus de 50 ans qui a commencĂ© avec le « manifeste des 343 » en 1971 oĂč 343 personnalitĂ©s cĂ©lĂšbres ont eu le courage de dĂ©clarer avoir avortĂ© alors mĂȘme quâil constituait un dĂ©lit pouvant conduire Ă des peines de prison.
Le procĂšs de Bobigny en 1972 a Ă©galement participĂ© Ă faire entendre cette cause dans ce procĂšs ou une jeune femme de 17 ans, Marie-Claire Chevalier, Ă©tait accusĂ©e dâavoir avortĂ© suite Ă un viol. La cĂ©lĂšbre plaidoirie de GisĂšle Halimi ce jour-lĂ a marquĂ© une Ă©tape importante de la lutte pour lâavortement.
Trois ans plus tard, en 1975, la promulgation de la loi Veil dĂ©pĂ©nalise et encadre lâavortement suite Ă de longs dĂ©bats parlementaires et sous la pression du nombre de victimes des avortements clandestins.
Depuis 1975, deux allongements du délai de recours ont été votés, le premier en 2001 faisant passer le délai de recours de 10 à 12 semaine puis en 2022 de 12 à 14 semaines.6
Depuis 2012, la France Insoumise demande Ă ce que le droit Ă lâIVG figure dans la constitution. En 2022, Mathilde Panot, prĂ©sidente du groupe de la France Insoumise a dĂ©posĂ© une proposition de loi constitutionnelle pour inscrire le droit Ă lâIVG dans la constitution. Au SĂ©nat câest grĂące Ă lâĂ©cologiste MĂ©lanie Vogel que le texte a Ă©tĂ© portĂ© pour finalement ĂȘtre votĂ© en congrĂšs Ă Versailles le 4 mars dernier.
Cette victoire idĂ©ologique, câest celle de la gauche qui porte ce sujet depuis de nombreuses annĂ©es. Câest une Ă©tape supplĂ©mentaire dans la lutte pour le droit Ă lâIVG. La France est le premier pays Ă lâavoir inscrit dans la norme suprĂȘme avec 780 voix pour et seulement 72 voix contre. Cette victoire est aussi celle de la sociĂ©tĂ© française, Ă 81% favorable Ă cette mesure7 et Ă la mobilisation des associations pour maintenir la pression sur la droite et les centristes les plus rĂ©ticents.
Un combat loin dâĂȘtre terminĂ©
MalgrĂ© cette avancĂ©e, il ne faut pas baisser la garde. Dâabord, parce que le diable se cache dans les dĂ©tails : le choix des mots de la droite sĂ©natoriale de remplacer le « droit » par « libertĂ© garantie » diminue considĂ©rablement la portĂ©e juridique du texte. Cette rĂ©daction impose de passer par une loi pour garantir cette libertĂ©, mais rien nâempĂȘche une future loi sur lâIVG dâĂȘtre plus restrictive que celle dâaujourdâhui. Avec cette formulation, les lĂ©gislateurs peuvent toujours rĂ©duire les dĂ©lais de recours ou encore restreindre les conditions dâaccĂšs Ă lâavortement8. La formulation de la droite sĂ©natoriale a Ă©galement imposĂ© de garantir seulement à « la femme » dâavoir recours Ă lâIVG. Pourtant les hommes trans aussi peuvent avoir recours Ă lâavortement, il faudra donc rester extrĂȘmement vigilant pour sâassurer quâils bĂ©nĂ©ficient pleinement de ce droit. Lâavis rendu par le Conseil dâĂtat le 12 dĂ©cembre 2023 sur le projet de loi constitutionnelle relatif Ă la libertĂ© de recourir Ă lâinterruption volontaire de grossesse prĂ©cise bien que « cette libertĂ© doit ĂȘtre entendue comme bĂ©nĂ©ficiant Ă toute personne ayant dĂ©putĂ© une grossesse, sans considĂ©ration tenant Ă lâĂ©tat civil, lâĂąge, la nationalitĂ© et la situation au regard de sĂ©jour en France »9.
Lâautre menace qui pĂšse sur lâIVG est la possibilitĂ© effective dây recourir. Ă quoi bon avoir le droit de recourir Ă lâIVG sâil nây a pas de mĂ©decins disponibles pour le pratiquerâ? Depuis 15 ans, 130 centres IVG ont fermĂ©10 faute de mĂ©decins ou de centres suffisants dans certains dĂ©partements. Un nombre important de femmes doivent se dĂ©placer Ă 100 voire 200 kilomĂštres de chez elles pour avorter et 17% des femmes doivent changer de dĂ©partement, ce qui reprĂ©sente presque une femme sur 5. LâaccĂšs Ă lâIVG est trĂšs inĂ©galitaire en fonction des territoires, en ArdĂšche par exemple 1 femme sur 2 doit changer de dĂ©partement pour avorter11, en Bretagne le dĂ©lai dâattente pour un IVG est nettement au-dessus de la moyenne pouvant aller jusquâĂ 11 jours12. LâIVG peut ĂȘtre pratiquĂ©e par la prise de mĂ©dicaments, on parle alors dâIVG mĂ©dicamenteuse, ou bien par une intervention chirurgicale (IVG instrumentale). En temps normal le choix de la technique repose sur le moment Ă la grossesse auquel lâIVG intervient et les prĂ©fĂ©rences de la femme. Il peut nĂ©anmoins ĂȘtre aussi contraint par le manque de centre de santĂ© et de mĂ©decins13. Parfois mĂȘme les mĂ©dicaments viennent Ă manquer, câest le cas du misoprostol qui a connu des tensions dâapprovisionnement pendant de longues semaines au printemps 202314.
Finalement, les attaques de lâextrĂȘme droite contre lâIVG constituent la menace la plus directe et la plus virulente de ce droit. Les plannings familiaux sont rĂ©guliĂšrement ciblĂ©s, le tag Ă deux reprises de messages tels que « lâIVG est un meurtre » ou encore « stop IVG » sur la vitrine du planning familial de Lille15 ce mois-ci illustre bien ce danger. La dĂ©sinformation sur le sujet est encore courante et de nombreux sites anti-IVG figurent encore parmi les premiers rĂ©sultats sur Google. Il y a encore seulement quelques semaines, CNEWS faisait figurer lâavortement comme une cause de mortalitĂ©. En France, le lien entre lâextrĂȘme droite et les mouvements anti-IVG sont trĂšs clairs. La dĂ©putĂ©e anti-IVG Caroline Parmentier a par exemple dĂ©clarĂ© quâ «aprĂšs avoir “gĂ©nocidĂ©” les enfants français Ă raison de 200 000 par an (le nombre dâavortements en France) on doit maintenant les remplacer Ă tour de bras par les migrants». En 2020, le dĂ©putĂ© du Vaucluse, HervĂ© Lepineau comparait lâIVG « aux gĂ©nocides armĂ©niens et rwandais, Ă la Shoah, aux crimes de Daesh». Marine Le Pen, elle, conserve une position ambigĂŒe. En 2012, elle avait pourtant parlĂ© des âavortements de confortâ et sâĂ©tait prononcĂ©e contre lâallongement des dĂ©lais en 2021.
Le chemin est encore long en France et dans le monde pour garantir aux femmes de disposer de leur corps. Le vote du 4 mars est un signal fort envoyĂ© aux autres pays. Une nouvelle bataille sâouvre Ă lâĂ©chelle europĂ©enne. Lâinitiative citoyenne europĂ©enne (ECI) “My Voice, My Choice”, vise la garantie des choix reproductifs accessibles et sĂ»rs pour toutes les femmes en Europe. Lâobjectif est dâĂ©tablir un fonds de l’UE dĂ©diĂ© pour faciliter les pratiques d’avortement sĂ»res transfrontaliĂšres et amĂ©liorer l’accĂšs aux services de santĂ© reproductive dans tous les Ătats membres16. En France, on lâa vu, rien nâest jamais acquis et de nombreuses amĂ©liorations peuvent encore ĂȘtre apportĂ©es en particulier sur la question de la prĂ©vention auprĂšs des jeunes, sur la contraception masculine, sur le financement du systĂšme de santĂ© et du planning familial ou encore sur la lutte contre la dĂ©sinformation.
La France insoumise continuera de porter ce combat Ă travers des mesures ambitieuses pour maintenir les exigences que requiert ce droit. Nous dĂ©fendons le remboursement intĂ©gral de tous les moyens de contraception ainsi que lâaccĂšs Ă la contraception hormonale sans ordonnance Ă partir de 15 ans. Nous militons Ă©galement pour la suppression de la clause de conscience qui sâapplique spĂ©cifiquement Ă lâIVG. Avec le code de dĂ©ontologie, les mĂ©decins ont dĂ©jĂ la possibilitĂ© de refuser des soins pour des raisons personnelles ou professionnelles. La clause de conscience introduite dans la loi Veil en 1975 donnant la possibilitĂ© aux soignants de refuser de pratiquer un IVG pour des raisons morales ou religieuses est anachronique et participe Ă la moralisation de lâavortement. Cette deuxiĂšme clause doit ĂȘtre supprimĂ©e. Nous dĂ©fendons plus globalement la reconstruction de notre systĂšme de soin que des annĂ©es de politiques libĂ©rales ont mis en miettes. Il est impĂ©ratif de renforcer le rĂ©seau des centres IVG en ouvrant un centre par hĂŽpital pour faire de lâIVG un droit pleinement effectif.
1 https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/03/08/8-mars-le-corps-feminin-est-historiquement-le-lieu-par-excellence-de-la-domination-masculine_6220827_3224.html
2 OĂč en est le droit Ă l’avortement en Europe et dans le monde ? | Les Echos
3 IVG dans la Constitution : oĂč en est-on ailleurs dans le monde ? (francetvinfo.fr)
4 https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/24/etats-unis-un-an-apres-roe-vs-wade-le-droit-a-l-ivg-etat-par-etat_6179041_3210.html
5 https://www.rfi.fr/fr/podcasts/journal-d-ha%C3%AFti-et-des-am%C3%A9riques/20240215-argentine-le-droit-%C3%A0-l-avortement-reste-menac%C3%A9
6 https://www.amnesty.fr/droits-sexuels/actualites/ivg-constitution-france-long-parcours-avortement
7 Droit Ă l’avortement : environ 80 personnes participent au rassemblement Ă Besançon – France Bleu
8 Le “droit” devenu “libertĂ©” : que change la formule choisie par le SĂ©nat pour constitutionnaliser l’IVG ? (radiofrance.fr)
9 https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-constitutionnelle-relatif-a-la-liberte-de-recourir-a-l-interruption-volontaire-de-grossesse
10 https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/27/avortement-en-france-pres-de-8-des-centres-pratiquant-l-ivg-ont-ferme-en-dix-ans_6013384_3224.html
11 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-09/ER1281MAJ.pdf
12 IVG dans la Constitution : un droit “menacĂ© par la casse du systĂšme de santĂ©” pour Nous Toutes 35 – France Bleu
13 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-09/ER1281MAJ.pdf
14 https://www.planning-familial.org/fr/contraception/penurie-de-pilules-abortives-cest-le-droit-lavortement-qui-est-menace-il-en-va-de-la
15 https://www.bfmtv.com/grand-lille/lille-le-planning-familial-cible-par-des-tags-anti-ivg-martine-aubry-denonce-une-attaque-aux-droits-de-la-femme_AV-202403080886.html