Dans mon précédent billet, j’ai résumé, certes de façon lapidaire, les différentes facettes de la crise écologique. Cette crise va toucher l’ensemble de nos vies, mais elle sera d’autant plus dramatique pour les plus démunis. L’étape suivante est évidemment de rechercher les causes profondes de ces bouleversements si rapides.
Face à cette situation, il existe en gros trois postures philosophiques: la première correspond à un certain négationnisme, niant la réalité de ces changements, la seconde prend pour cause de ces crises un essentialisme anthropologique, le problème résiderait dans la relation entre l’Homme et la Nature, enfin la dernière incrimine un mode de fonctionnement économique: le capitalisme. Portons notre regard tour à tour sur ces trois formes de réponses.
Le négationnisme écologique a été une stratégie pendant de nombreuses années. Il s’est écoulé pas moins de 30 ans entre la publication du Printemps silencieux de Rachel Louise Carson en 1962[1], et la conférence de Rio sur la biodiversité en 1992. Pendant de nombreuses années, les écologistes, qu’ils soient scientifiques, membres d’association ou de partis politiques étaient vus au mieux comme de sympathiques hippies au pire de dangereux terroristes. Mai 1968 par sa critique de la société de consommation avait évidemment ouvert une brèche, y compris dans l’opinion de masse. Mais les classes dominantes de l’ouest comme de l’est à quelques exceptions près avaient fait le choix de la politique de l’autruche. Le travail des scientifiques, l’accumulation de faits, la pression exercée par la multitude d’associations protectrices de la nature, ont permis un retournement de discours très net depuis le début du XXIème siècle. Ce retournement se médiatise à la fois au travers du discours des hommes politiques mais aussi dans les productions des mass médias (livres, films, vidéos sur le web…). Hélas, si le discours a bien changé, les actes ont peu suivis. Et pour cause! Il existe comme nous le verrons par la suite un certain nombre de contradictions irréductibles entre la défense de l’environnement et le capitalisme. Mais avant de revenir sur ce point, analysons les caractéristiques de ce retournement de l’opinion. Tout d’abord, il est sociologiquement différencié entre des classes populaires qui se sentent peu concernées et des classes moyennes sur impliquées. Ensuite, cette prise de conscience tend à culpabiliser le consommateur et l’utilisateur et renvoie plus à des pratiques individuelles, qu’à des démarches collectives. Enfin, le climat dominant produit par cette prise de conscience est celui du catastrophisme impuissant. La crise n’est vue que sous l’angle « racoleur » de la catastrophe et l’individu face à cet immense mur se trouve impuissant et par conséquent conforté dans sa passivité.
Pour sortir de cette impasse, il faut déconstruire deux concepts néfastes: le catastrophisme millénaire d’une part, et d’autre part l’antique culpabilisation de l’Homme en tant qu’homme, qui depuis la pomme n’en finirait pas de pécher. Notre premier travail doit donc de dé-essentialiser ces deux sous entendus. La catastrophe est un événement, unique et atemporel, qui semble tomber du ciel. La notion de crise est plus juste: c’est une perturbation systémique qui est causé par l’accumulation de modifications matérielles. La perturbation est un événement, court au regard du pas de temps d’évolution d’un système donné, qui transforme l’état d’un système. Par exemple, la révolution industrielle et l’utilisation massive du pétrole a été une perturbation qui a rapidement transformé la composition de l’atmosphère. Si l’ensemble d’un système est touché par de nombreuses perturbations conjointes et corrélées, alors nous avons une crise. C’est important de voir le problème de la crise écologique de cette façon, car la crise ne vient pas du ciel, elle a des causes matérielles que l’on peut étudier analytiquement. Or quand on étudie analytiquement les origines des différentes facettes de la crise écologique, on s’aperçoit d’une part qu’elle n’est pas inéluctable et que d’autre part elle n’est pas due à un antagonisme per se entre l’homme et la nature, mais bien à une certaine utilisation de la nature par l’homme. Je reviendrais dans un billet ultérieur sur l’analyse de la résilience de notre planète; mais en gros je pense que si rapidement nous changeons nos modes de production et de vie, la planète pourra redevenir viable. Je vais plutôt regarder en quoi ce changement est du au système économique imposé aux hommes et à la nature depuis deux à trois siècles par une minorité.
Au sein du mouvement écologiste il existe un double débat : (i) Est ce que le responsable de la crise écologique c’est l’homme ou le système économique ? (ii) Pour sortir de la crise écologique faut-il favoriser la prise de conscience individuelle ou sortir du capitalisme ? En fait, ces deux questions sont partiellement liées. Sortir du capitalisme est inenvisageable pour les classes dominantes qui dirigent ce système et surtout qui en bénéficient. Par conséquent, comme une issue révolutionnaire n’est qu’un doux rêve, la cause de la crise écologique ne peut pas être du au système économique. Si ce n’est pas lui, c’est alors du à une mauvaise relation qu’entretiendrait l’homme et sa maison. Se déroule alors une logique inversée. Pour l’expliquer, prenons une allégorie. Lorsqu’une famille est endettée, on laisse souvent croire que c’est essentiellement du à un problème de gestion d’argent : ils n’ont pas appris à gérer leur argent, ils consomment trop….Le fait que l’on vit dans une société de consommation où l’on existe pas si l’on achète pas, qui dans le même temps ne nous donne pas l’argent pour acheter, cette évidence là s’évanouit du discours. Nous sommes avec la crise écologique aux prises avec la même magie. Si la planète va mal, c’est que chacun des petits bons hommes qui l’habitent ne la respectent pas assez. Ce discours est tenu avec assurance alors qu’il est réellement fou. En effet, comment dire que c’est la faute de notre relation à notre planète quand tous les soirs au 20h, chacun attend fébrilement les chiffres de la croissance (corrélés au moins virtuellement avec ceux du chômage), quand un bon noël est un noël où l’on vend pleins de jouets, quand chaque travailleur doit faire 4 heures de transports pour aller travailler le matin, quand le gigot de nouvelle Zélande coûte deux fois moins cher que celui du paysan de ma région. Cette logique magique conduit à une solution formidable : on est tous responsable, on peut tous faire quelque chose ! Youpi ! Alors le pauvre citoyen essaie parfois d’agir écologiquement quand il en a les moyens, mais c’est difficile car les signaux qui lui sont envoyés tous les jours, sont paradoxaux. Le premier reportage nous dit qu’il faut que l’on consomme, le second que l’on arrête de consommer. Prenons l’Iphone, cela devient un phénomène une nécessité, presque un « bienfait » pour l’humanité, mais il est composé de brome et de mercure, très dangereux[2]…Cette logique argumentative aboutit à une culpabilisation et à des non solutions assez cocasses : pour protéger l’environnement acheter une voiture neuve…le fait qu’il faille de l’énergie pour la produire, des travailleurs se déplaçant pour aller travailler, tout un tas de matériaux pas très écolo…tout cela s’évanouit avec une petite prime ou une petite pastille.
Cette magie qui trouve de faux coupables et propose de fausses solutions est donc nous l’avons dit rendue nécessaire car une partie de la population ne veut pas voir les véritables causes de la crise écologique. Avant de les analyser, éliminons un dernier malentendu. Il existe une différence entre transformer son environnement et provoquer une crise écologique qui met en danger le système terre. L’homme par essence transforme fortement par l’utilisation de l’outil son environnement, l’apparition de l’agriculture au néolithique est la marque de cette transformation brutale du rapport entre l’homme et son environnement. Mais en fait de nombreuses espèces modifient tout aussi fortement l’environnement que l’homme : l’apparition de l’oxygène et de l’ozone de l’atmosphère a été permise par les cyanobactéries, les verres de terres transforment des quantités extraordinaires de terre. Le problème fondamental n’est pas que l’homme modifie son environnement, mais bien qu’il le fasse de façon irréversible, si rapidement dans un sens néfaste pour lui mais aussi pour la diversité de la vie.
Dans ces termes, un excellent marqueur quantitatif de la crise écologique est constitué par la courbe de l’augmentation des gaz à effet de serre depuis 1700. Cet indicateur est lui-même corrélé à l’augmentation de la pollution, la diminution des ressources naturelles, et la baisse en surface de l’habitat naturel qui conduit à l’extinction massive des espèces. Les causes du changement climatiques sont pédagogiques car elles permettent de visualiser l’ampleur de la crise écologique. Or l’origine de ces changements est concomitante de la révolution industrielle et de la domination croissante du capitalisme. Les quatre facettes de la crise écologique (pollution, ressources naturelles, biodiversité, climat) sont toute dus à une même logique destructrice. Le système capitaliste doit pour fonctionner générer du profit, pour le générer il doit produire plus et vendre sa production donc faire consommer plus. La production requiert toujours même quand c’est une production de services l’utilisation de ressources naturelles et de l’énergie, et cette production génère toujours un type de pollution. La logique expansionniste de l’industrie et de la ville conduit aussi une disparition de l’habitat naturel. C’est vrai même dans le cas des services. C’est d’ailleurs pour cela que la tertiarisation massive de l’économie ne s’est pas accompagnée d’une baisse des problèmes écologiques. Certaines pollutions ont simplement été déplacées du Nord vers le sud ou vers la Chine car l’industrie lourde a été délocalisée dans ces pays là. Mais même internet ne se fait pas sans matière : il faut des ordinateurs aux composés plus toxiques les uns des autres (cadmium, beryllium, plomb, étain et mercure)[3], et sans énergie pour l’ordinateur mais aussi pour les serveurs gigantesques où sont stockés l’information. Même un service à la personne nécessite du déplacement et donc consommatrice in fine d’énergie et de matières. Certaines activités impactent plus ou moins l’environnement, mais le principal problème est que tout le système économique repose sur un postulat produire plus pour consommer plus.
Mais en fait contrairement à ce que pense certains, ce postulat n’est pas qu’un postulat idéologique, mais bien une conséquence matérielle de la logique d’un système. Pour dire cela autrement, un capitalisme anti-productivisme est impossible, même sous une forme de capitalisme d’Etat comme l’était à mon sens le faux communisme des pays de l’est[4]. Si la démonstration rigoureuse de l’incompatibilité entre capitalisme et écologie reste à faire, l’analyse marxiste de l’économie nous donne quelques éléments de compréhension.
Les sources du productivisme sont en effet au coeur du capitalisme. Ce système économique est soumis à deux contradictions majeures qui produisent mécaniquement productivisme et société de consommation. La première est la baisse tendancielle du taux de profit[5]: plus il développe les moyens de production (machines, informatique), plus il doit augmenter le volume de ces même productions pour maintenir le même taux de profit. Pour survivre, il doit donc être en perpétuelle expansion en s’appropriant de nouvelles ressources (guerre sans limite) ou en privatisant un nombre grandissant de secteurs (école, services). De plus toute entreprise et par extension tout pays, qui irait à l’encontre de cette logique, serait vouée à disparaître économiquement du fait de la concurrence. Cette logique s’accompagne d’une augmentation illimitée des moyens de production à la fois œuvre « civilisatrice » mais aussi mortifère su Capital. La seconde contradiction est la réalisation de la plus value, car une fois une marchandise créée il faut bien la vendre, c’est ce qui sous-tend toute la société de consommation. Il n’y a donc pas de capitalisme sans société de consommation avec une publicité de plus en plus présente et sans productivisme. Le capitalisme ne peut vivre sans ces objets inutiles et sans ces transports anarchiques. Prenons un exemple concret : on a pu montré que les ingrédients nécessaires à la fabrication d’un simple pot de yaourt aux fraises parcouraient près de 10 000 km avant d’être réunis, avec à la clé la consommation de 40 grammes d’équivalent pétrole par kilo de yaourt. Ce système a ainsi conduit entre 1970 et 1997 au triplement du transport terrestre sur route.
Certes internaliser les coûts de transport, renchérir le prix des matières premières et mettre en avant une régulation étatique socialisée par la taxe ou la réglementation permettraient de minimiser l’impact de la logique du capital sur la nature. Hélas ces mesures se font souvent sur le dos des plus pauvres qui n’ont pas d’autres choix que de prendre leur voiture pour aller travailler. Sur ce point je citerais A. Gorz qui schématiquement pressentait déjà cela: « La prise en compte des exigences écologiques aura finalement cette conséquence : les prix augmenteront plus vite que les salaires réels, le pouvoir d’achat populaire sera donc comprimé et tout se passera comme si le coût de la dépollution était prélevé sur les ressources dont disposent les gens pour acheter les marchandises. La production de celles-ci tendra donc à stagner ou à baisser (…), les productions polluantes deviendront des biens de luxes inaccessibles à la masse sans cesser d’être à la portée des privilégiés ; les inégalités se creuseront, les pauvres deviendront relativement plus pauvres et les riches plus riches »[6]. Plus problématique, si certaines de ces mesures peuvent être utiles, elles sont à terme insuffisantes, nous sommes dans une logique semblable à la mise au frigidaire d’un fruit pourrit. De toute façon, les mesures réellement efficaces, comme la gratuité des transports en commun ou des ecotaxes prises sur les profits des entreprises, seront difficilement mises en œuvre sans un rapport de force, car elles remettent en cause, au moins partiellement, la logique du marché et de la maximisation du profit.
Ce tableau est certes sombre mais lucide, ce n’est pas une invitation à la passivité, car tout acquis même partiel est une avancé. Mais il faut envisager la possibilité esquissée ici que le capitalisme est incompatible avec la préservation d’une planète viable. Envisager la sortie du capitalisme est peut être alors le seul moyen de rêver une économie économe qui produise les moyens qui permettent une vie décente pour tous réconciliant ainsi développement humain et santé de notre planète.
[1] Best seller qui traitait des effets de la pollution et des pesticides sur l’environnement et la santé.
[2] http://www.lemondeavance.com/lemonde_Du-brome-et-des-phtalates-dans-la-composition-de-l-iPhone–216.htm
[3] http://www.01net.com/article/316433.html
[4] Certains écologistes assimilent trop rapidement le communisme au socialisme réel qui a détruit l’environnement aussi sûrement que le capitalisme. Ils voient dans les passages louant le productivisme de Trotski ou Lénine, les raisons de l’échec de l’URSS concernant l’écologie. Leur erreur est de ne faire aucune analyse matérialiste de la véritable nature de l’URSS (capitalisme d’état) et des raisons matérielles conditionnant son développement et du développement des idées révolutionnaire à cette époque. Dans un pays industriellement peu développé en concurrence capitaliste avec l’occident, il était naturel que ces révolutionnaires mettent l’accent sur l’augmentation des moyens de production.
[5] Marx l’expliquait ainsi « Il faut bien que cet accroissement progressif du capital constant par rapport au capital variable ait nécessairement pour résultat une baisse graduelle du taux de profit général (…) le même nombre d’ouvriers, la même quantité de force de travail, que faisait travailler un capital variable, d’un volume de valeur donnée, mettra en mouvement dans le même laps de temps, par suite du développement des méthodes de production propre à la production capitaliste, une masse toujours plus grande de moyens de travail, de machines et de capital fixe de toute sorte, traitera et consommera productivement une quantité toujours plus grande de matières premières et auxiliaires – par conséquent il fera fonctionner un capital constant d’un volume en valeur en perpétuelle augmentation » Marx, le Capital, Livre III, Chap XIII.
[6] Ecologie et politique. André Gorz. Editions du Seuil 1978.