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La solution n’est pas le protectionnisme, mais un écosocialisme démocratique

Donald Trump a annoncé, ce mercredi 2 avril, des taxes douanières sans précédent. Lors de ce « liberation day », il impose 34 % de droits de douane sur les importations chinoises (s’ajoutant aux 20 % déjà imposés depuis janvier), 20 % sur celles en provenance de l’Union européenne (UE), 32 % sur Taïwan et 24 % sur le Japon[1].

Cette annonce percute les marchés financiers et la mondialisation néolibérale. Mais elle doit aussi interroger la gauche. En effet, celle-ci s’est construite à partir des années 2000 contre la mondialisation néolibérale. Progressivement, elle s’est appropriée le concept de « protectionnisme » en y ajoutant les adjectifs de solidaire et d’écologique. Le protectionnisme solidaire était au cœur de la campagne de Jean Luc Mélenchon de 2017. Il est le concept clé de celle que François Ruffin a lancé le 1er avril. La gauche serait-elle économiquement Trumpiste concernant le protectionnisme, ou si on le formule autrement, le protectionnisme serait-il de gauche ?

Je pense que pour répondre à cette question, la gauche ferait bien de reprendre cette question à la racine. Pour cela, il est utile de revenir sur le Capital de Marx et sur l’analyse marxiste des contradictions du capitalisme, notamment au stade impérialiste[2]. Fondamentalement, une des contradictions de l’accumulation capitalistique est la « surproduction » ou « sous consommation chronique ». Grâce aux innovations, le capital produit toujours plus de marchandises. Mais pour que le profit se réalise, il faut que la marchandise soit vendue. Or pour maximiser le taux de profit, les entreprises compriment souvent au maximum les salaires. Une part grandissante de la population est donc dans l’incapacité d’acheter ces mêmes marchandises. La précarité du salariat, le délitement des systèmes de sécurité sociale ou du service public éducatif, conséquence du néolibéralisme, renforcent cette contradiction. En effet, les salariés sont contraints d’épargner pour anticiper les périodes de chômages ou les frais d’inscription à l’université de leurs enfants. En Europe, les taux d’épargne ont augmenté au moins en France, Allemagne et Espagne depuis 2015[3]. Ce qui est épargné, n’est pas consommé et vient souvent gonfler les bulles spéculatives.

Bref, pour vendre les marchandises, il faut élargir au maximum le marché commun, si possible atteindre le monde dans sa globalité. C’est le projet néolibéral de la mondialisation. Chaque marchandise peut être potentiellement vendue au même prix partout dans le monde.

Mais cette dynamique pose des problèmes au stade impérialiste. Ce stade se définit par une interconnexion forte des intérêts des grands monopoles d’un pays et de sa classe politique. L’État devient le garant de la continuité de l’accumulation du capital par ses monopoles. Ce lien intime entre le grand capital et les États est patent aux USA en Russie et en Chine, mais aussi en France. A ce stade, d’autres contradictions émergent entre pôles capitalistiques. Une des raisons des deux premières guerres mondiales était l’accès aux marchés et ressources énergétiques des colonies, auxquelles les puissances de l’Axe avaient moins accès que la France et l’Angleterre. Aujourd’hui, les marchés sont plus ouverts, mais les inégalités salariales et les inégalités de développement ont conduit à des déséquilibres structurels dans le marché mondial. Deux pays, l’Allemagne et la Chine, sont devenus les usines du monde, l’un spécialisé dans le haut de gamme, l’autre dans le « low cost ». Cela a généré un déficit commercial abyssal entre les USA et ces deux pays. Le projet trumpiste vise à rééquilibrer cela. Trump l’exprime sans ambages : « L’UE est très mauvaise pour nous. Ils nous traitent très mal. Ils ne prennent pas nos voitures ou nos produits agricoles. En fait ils ne prennent pas grand-chose »[4]. L’accès aux ressources naturelles continue d’être une autre source de tensions majeures entre pôles impérialistes. Le contrôle des ressources minérales et énergétiques permet de déterminer leur prix et de capter la plus-value de la rente de leur exploitation. Cette obsession du contrôle des ressources anticipe leur rareté à venir à un moment où la société capitaliste se heurte aux limites planétaires.

Si on comprend bien ces dynamiques, la réponse de la gauche et de l’Europe ne peut pas simplement être un protectionnisme basé sur la multiplication des taxes pour répondre à la guerre économique de Trump. Il faut stratégiquement prendre le problème autrement. La question pour la gauche n’est pas de défendre les profits de l’Oréal ou Stellantis contre ceux d’Amazon ou de Tesla. Je pense qu’il faut repartir radicalement du projet démocratique et émancipateurs des Lumières. Notre objectif est que chacun puisse vivre dignement de son travail, tout en préservant les écosystèmes et les ressources de la planète. Nos besoins essentiels sont simples : la santé, l’éducation et la culture, le droit à l’information, une nourriture saine et un logement digne. La façon dont la société s’organise doit être décidé démocratiquement. Le maître mot n’est pas le protectionnisme, mais une démocratie qui réponde aux besoins essentiels, ce qui implique la souveraineté à l’échelle de la nation mais aussi à l’échelon européen.

Le protectionnisme doit seulement être un outil au service de l’exercice de la souveraineté. Il doit être cantonné à un certain type de marchandises. Dans bien des cas, la meilleure solution pour résoudre les contradictions du capitalisme, ce n’est pas un protectionnisme écologique ou solidaire, c’est la socialisation démocratique. Par exemple, dans l’industrie du médicament, il est nécessaire de construire un service public du médicament. Au vu des enjeux écologiques, il serait tout à fait légitime de sortir les moyens de transport du marché avec un grand service public unifié des transports rassemblant le transport ferroviaire, l’aérien et la voiture. C’est la meilleure façon d’organiser la planification écologique de l’ensemble du secteur. Pour l’énergie ou le logement, c’est le même sujet, il faut sortir du marché et refonder des services publics, dont certains existaient jusque dans les années 80 en France. Le maître mot est donc la démarchandisation ou comme le dit mon amie Clémentine Autain, l’esprit public. Il faut le renforcer là où il existe, la santé et l’éducation et l’élargir sur tout ce qui conditionne notre souveraineté et ce qui est essentiel à notre vie : le médicament, l’énergie, les transports, l’alimentation, le numérique, mais aussi l’armement[5].

Ensuite, il y a tout une myriade de services et de productions de marchandises réalisées dans des PME ou des SCOP qui ne sont pas impactées par le marché mondial, mais qui sont souvent l’objet de la prédation du Capital, qui exige 20% de rentabilité et fait fermer les boîtes les unes et après les autres. Le problème n’est pas Trump ou le capitalisme américain, mais bien souvent le capitalisme français. Il faut protéger ces entreprises en favorisant leur reprise par les salariés et en soutenant l’économie sociale et solidaire.

Enfin, il existe des secteurs industriels qui doivent rester dans la logique concurrentielle et le marché. C’est ces secteurs là et seulement ceux-là, que nous devons protéger éventuellement par un protectionnisme européen ou par des normes environnementales qui favorisent de facto la production locale.

Par ailleurs, la logique du protectionnisme oppose les blocs impérialistes entre eux et conduit souvent à la guerre et au colonialisme. La rengaine de la protection vis-à-vis de l’étranger, favorise les logiques identitaires et les courants néofascistes.

Au contraire, la gauche doit toujours être porteuse d’un internationalisme. L’ennemi du travailleur français n’est jamais le travailleur chinois ou américain, mais bien un système qui les met en concurrence et ne les rémunère pas à la hauteur du travail effectué. Souvent les salaires des ouvriers ainsi mis en concurrence sont trop bas, ce qui ne leur permet pas de vivre dignement, ni en Chine, ni aux USA, ni en France.

[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/04/03/donald-trump-declare-une-guerre-commerciale-au-monde-entier-entrainant-les-etats-unis-dans-l-incertitude-economique_6590104_3234.html

[2] Je traite cette question dans mon ouvrage « Le capital c’est nous »

[3] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2025/02/04/flash-conjoncture-pays-avances-taux-d-epargne-en-zone-euro-entre-prudence-et-reprise-differee#:~:text=L’évolution%20du%20taux%20d,après%2012%2C8%20%25).

[4] https://www.liberation.fr/international/amerique/ils-nous-traitent-tres-mal-donald-trump-menace-la-chine-et-lue-de-tarifs-douaniers-des-le-1er-fevrier-20250122_LU7VKGJE3ZDCDJBWHG3EKNJETA/?redirected=1

[5] Notre défense et les dépenses afférentes ne doivent pas faire l’objet de profits et de logique marchande.

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