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Proposition de loi visant à limiter la pollution générée par l’activité des navires de croisière et des yachts

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Alors que selon les scientifiques, nous avons dépassé 7 des 8 limites planétaires, il est urgent que nous prenions conscience que certaines activités humaines de loisir doivent être à terme abandonnées.

Entre janvier et juillet 2023, les navires de croisières à quai et dans les vingt kilomètres autour du port de Marseille auraient émis 22 000 tonnes de CO2, 570 tonnes de NOx, 275 tonnes de SOx et 30 tonnes de particules fines. Ces polluants sont fortement nocifs pour les habitants vivant à proximité, principalement dans les quartiers populaires, provoquant des maladies respiratoires, des cancers, des aggravations des allergies et de l’asthme. Pour la seule cité phocéenne, 6 mois de croisière représentent un coût pour la santé publique de 30 millions d’euros, si l’on s’en tient au coût associé à ces quantités de polluants par le Handbook on the external costs of transport rédigé par la Commission européenne. À Marseille, comme dans d’autres villes françaises et européennes, les riverains sont exaspérés. Partout, la contestation grandit. Des habitants ont même entamé une bataille judiciaire contre cette source de pollution.

En seulement une escale, les paquebots de croisières émettent jusqu’à 200tonnes de dioxyde de carbone, soit autant que 16000français en moyenne sur une journée. Il y avait 4000 escales de croisière en France en 2019 et tout porte à croire qu’après la parenthèse de la pandémie de Covid-19, le secteur repart à la hausse. En juin 2023, le plus grand paquebot de croisières au monde sortait des chantiers navals finlandais, avec sa coque de 365 mètres de long, sa capacité d’accueil de 9 950 personnes, ses 7 piscines, ses 9 bains à remous, sa patinoire, ses innombrables restaurants et attractions, mais aussi et surtout avec son indécence climatique et ses promesses de destruction massive de l’environnement. Le gaz naturel liquéfié (GNL) utilisé par ce monstre des mers ne réduit les émissions de dioxyde de carbone que de 5 à 20 % comparé au fuel lourd encore utilisé par la grande majorité de ses congénères. Les faibles réductions d’émission induites grâce au GNL seront rapidement compensées par l’augmentation de la flotte. De surcroît, le GNL américain est issu à 80 % de gaz de schiste, dont l’extraction provoque des pollutions de l’eau. Pour le transporter, sa liquéfaction nécessite des ressources énergétiques supplémentaires, raison pour laquelle la France avait initialement interdit son exploitation avant d’en ré-importer avec le terminal méthanier flottant au large du Havre.

La pollution touche également la mer, via les rejets des eaux usées non traitées et les systèmes de « nettoyage » des fumées, appelés scrubbers, qui sont dans 80 % des cas à boucle ouverte. Les navires de croisière sont responsables de 15 % des rejets des eaux de lavage des fumées du transport maritime, selon l’International Council on Clean Transportation. Ces rejets participent à l’acidification et au réchauffement de l’eau de mer, ce qui accélère le réchauffement climatique et affecte lourdement la faune et la flore marines.

Au-delà de l’aberration écologique, ces méga-croisières sont aussi des scandales sociaux. En naviguant sous pavillon de complaisance, ils exposent l’équipage à des conditions de travail indignes et à des droits restreints. Les compagnies échappent largement au fisc français grâce à des montages financiers complexes qui leur permettent d’être domiciliés dans des paradis fiscaux. Ainsi, la compagnie MSC Croisières, propriété d’un proche d’Alexis Kohler, lui-même bras droit du président de la République française, n’a payé que 1,4 % d’impôts en déclarant l’essentiel de son chiffre d’affaires en Suisse.

Enfin, le passage d’un navire de croisière ne profite guère à l’économie locale, quoiqu’en disent les études souvent réalisées par les lobbies. D’une part, les compagnies font jouer la concurrence entre les ports d’accueil pour inciter ces derniers à abaisser leurs frais, conduisant ainsi à un nivellement par le bas. D’autre part, un tiers des passagers ne descend pas lors des escales et tous sont encouragés à consommer uniquement à bord du navire. La sur-fréquentation induite dans la ville tend même à dissuader certains touristes terrestres de visiter ces destinations.

À ce tourisme de masse des paquebots de croisières, s’ajoute le tourisme de luxe des méga-yachts, également à contre-sens sur le chemin vers la sobriété énergétique. Ces navires de plaisance de plus de 20 mètres de long sont devenus le symbole de l’orgie d’énergies fossiles à laquelle sont addictes les ultra-riches, au mépris de l’urgence climatique. La France est une des premières destinations au monde pour les yachts. La moitié de la flotte de grande plaisance mouille en Provence-Alpes-Côte d’Azur durant la période estivale. En jetant souvent l’ancre de manière illégale, ils endommagent et détruisent les herbiers de posidonie, véritables puits de carbone et réservoirs de biodiversité sous-marine pourtant protégés.

De toute évidence, le développement de ces secteurs est incompatible avec une vraie bifurcation écologique de nos sociétés et notamment avec l’impératif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Alors que les effets du changement climatique se font de plus en plus sentir, chaque centième de degré de réchauffement global évité permettra d’atténuer les dégâts sur la nature et sur nos sociétés. Il serait coupable de laisser les compagnies de croisière et les propriétaires de yachts de luxe prospérer, en polluant l’atmosphère et en détruisant les écosystèmes marins. Il est crucial d’en finir avec le gigantisme délirant du tourisme de croisière ainsi que la plaisance de luxe à laquelle se livre les 0,002 % les plus riches de la population mondiale.

La présente proposition de loi esquisse donc un premier pas vers la sobriété touristique. Elle poursuit quatre objectifs principaux. D’abord, mettre à contribution ces pollueurs qui profitent de la dérégulation actuelle et de plusieurs exonérations intolérables et injustifiables. Il s’agit par ailleurs de veiller au respect des normes environnementales, trop souvent enfreintes par des compagnies de croisière. Dans le même temps, la proposition de loi entend accélérer la construction d’infrastructures de raccordement électrique pour les navires à quai, afin de limiter la pollution atmosphérique dans les ports à court terme et de préserver la santé de dizaines de milliers de Françaises et Français. Enfin, le dernier objectif est de faire évoluer les mentalités concernant ce modèle touristique en donnant à voir au public les dégâts colossaux qu’il occasionne et en interdisant la publicité pour les croisières.

Dans le détail, l’article 1 instaure une taxe carbone sur l’utilisation des yachts de luxe d’une longueur supérieure à 20 mètres de long et d’une puissance supérieure à 750 kilowatts, dès lors qu’ils traversent les eaux territoriales françaises. Le critère de puissance permet d’exclure les voiliers et autres navires de plaisance à faibles émissions. Le montant de cette taxe est fixé à 100 euros la tonne de CO2 émise et est indexé sur l’inflation. La mesure des émissions de chaque yacht s’effectuera en croisant les données constructeur et les déplacements des navires.

L’article 2 met en place une taxe carbone sur l’utilisation des navires de croisière, identique à celle proposée à l’article précédent pour les yachts de luxe. La mesure des émissions est d’autant plus simple pour ces navires que depuis le règlement européen 2015/757 tout navire dont le tonnage brut est supérieur à 5 000 tonnes est dans l’obligation de présenter un bilan annuel de ses émissions, vérifié par les pays membres. La définition des navires de croisière introduite par cet article précise la vocation de plaisance ou de loisirs et l’hébergement de plus de deux nuitées, permettant de cibler efficacement cette catégorie de navires. La taxe sur les émissions de dioxyde de carbone ne touchera donc pas les autres navires, comme les ferries.

L’article 3 fixe une taxe de séjour d’un montant de 4€ par nuitée par passager, ou d’un montant de 3 euros par passager si le navire reste à quai moins d’une nuitée. Cette taxe est due par les compagnies de croisière et les propriétaires des yachts aux ports dans lesquels ils font escale. Elle est calculée en fonction de la capacité d’accueil maximale de chaque navire. En effet, pour l’heure, les croisiéristes ne paient pas de taxe de séjour, contrairement aux autres touristes. Rien ne justifie cette exonération qui constitue une incitation supplémentaire pour ce tourisme destructeur et un manque à gagner pour les communes recevant des croisières.

Au total, l’ensemble des taxes proposées constituerait des recettes s’élevant à 300 millions d’euros par an. Ce montant, aussi considérable soit-il, doit être comparé aux profits gigantesques réalisés par les compagnies de croisière et aux revenus des propriétaires de yachts. Le taux de rentabilité des compagnies de croisière se situe entre 10 et 15 % et le secteur représentait déjà un chiffre d’affaires de 38 milliards d’euros en 2017. Des compagnies comme Royal Caribbean Cruise Line, MSC Cruise ou Carnival génèrent à elles-seules plusieurs milliards d’euros de profits annuels.

L’article 4 rend systématique l’inspection de chaque croisière par les centres de sécurité des navires. Les contrôles effectués par ces centres ont permis, en novembre 2018, la condamnation du capitaine de l’Azura pour avoir utilisé du carburant dépassant la norme de teneur en soufre et, en mai 2022, celle de Tui Cruises pour des faits similaires. Pour parfaire leur efficacité, il est nécessaire que ces contrôles ne soient plus seulement aléatoires mais systématiques.

L’article 5 rend obligatoire une étude annuelle de la qualité de l’air dans chaque grand port maritime, étude qui sera menée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement (CEREMA). 20 % de la population de la région Provence Alpes Côtes d’Azur est exposée à un dépassement des normes de la qualité de l’air avec des pics plus importants dans les ville-ports, comme Marseille, où de très nombreux navires de croisières font escale. Même lorsque les normes sont respectées, celles-ci apparaissent dans certaines situations insuffisantes. En juin 2022, le navire de croisière Aegean Odyssey a été expulsé du port de Nice parce qu’il rejetait une importante fumée noire, alors même qu’il respectait les réglementations en vigueur. La pollution générée par les navires de croisières doit donc impérativement faire l’objet d’une évaluation régulière afin de pouvoir adapter les normes environnementales et leur contrôle.

L’article 6 vise à étudier l’opportunité de contraindre les navires de croisières d’être équipés de capteurs connectés afin de suivre en temps réel leurs émissions. Ces capteurs seraient un moyen d’améliorer le contrôle du respect des normes environnementales par les navires de croisières lors de leurs traversées.

L’article 7 met fin aux exonérations d’accise sur les carburants dont bénéficient les navires de croisière au même titre que l’ensemble du transport maritime. Il est insupportable que les compagnies de croisière soient exonérées de taxe intérieure sur les carburants, pour une activité de loisir si superflue et nocive, alors que tous les citoyens paient ladite taxe lorsqu’ils utilisent leur voiture pour des déplacements essentiels de leur vie quotidienne.

Les recettes fiscales générées par la suppression de cette exonération-privilège permettront d’alimenter le fonds national d’investissement en faveur du verdissement des ports, créé à l’article 8. En effet, grâce à l’électrification des quais, les navires pourront arrêter leur moteur en se raccordant au réseau électrique de la ville. Il est urgent de préserver les résidents des villes portuaires des particules fines, oxydes de soufre et oxydes d’azote auxquels les cheminées des croisières les exposent. Toutefois, cet aménagement coûteux rendu nécessaire par la pollution que génère une activité lucrative privée ne saurait être assumé par le contribuable: c’est aux compagnies de croisière de payer pour les aménagements qui réduiront l’effet de leurs activités sur la santé et l’environnement. Pour cette raison, le fonds d’investissement est alimenté par la taxe intérieure sur les carburants dont devront s’acquitter les navires de croisière.

L’article 9 prévoit l’interdiction de la publicité en faveur du tourisme de croisière afin de réduire la demande pour ce secteur. Cette proposition fait écho à la recommandation C2.1 de la Convention citoyenne pour le climat, qui demandait à «interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre sur tous les supports publicitaires».

Enfin, l’article 10 contraint les compagnies de croisière à afficher l’empreinte carbone des séjours vendus. Cet indicateur doit participer à dissuader les consommateurs. Un passager de croisière émet 4,4tonnes d’équivalent CO2 selon le collectif « Stop Croisières » pour un voyage de sept nuits, soit deux fois plus que ce que devrait être l’empreinte carbone individuelle pour respecter les engagements de l’accord de Paris sur le climat.

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