Tribune publiée dans le Monde
Le 1er juin est devenu une journée d’angoisse pour les 610 000 lycéens et les lycéennes qui ont formulé des vœux sur la célèbre plate-forme, mais aussi pour leurs familles. Avant 2018, une fois le baccalauréat obtenu, les lycéens étaient assurés d’avoir une place dans la discipline de leur choix en licence. Les règles étaient simples et claires : la qualification par le bac ouvrait le droit à la poursuite des études.
Aujourd’hui, rien n’est acquis. Dès le collège, il faut choisir au lycée la bonne spécialité pour qu’ensuite le lycéen conserve une chance d’intégrer la formation de son choix en licence. L’angoisse et la pression scolaire se manifestent maintenant aussi au collège. Les lycéens et les collégiens vivent un enfer d’autant plus grand que les règles ne sont pas claires. Les critères de sélection de chaque établissement ne sont pas transparents. Il existe des discriminations en fonction du lycée d’origine, du genre ou de la classe sociale.
Le lycée a été en même temps complètement restructuré, cassant les classes et donc les solidarités. L’information à l’orientation, transférée partiellement aux régions, est souvent laissée à des associations, parfois privées et à but lucratif. Les professeurs principaux censés accompagner les élèves sont insuffisamment formés à l’orientation et croulent sous les tâches administratives. Il y a un psychologue de l’éducation nationale pour 1200 élèves, le nombre de centres d’information et d’orientation (CIO) a été diminué et l’ONISEP a perdu la plupart de ses prérogatives.
La conséquence de tout ce système, c’est la mise en place d’un système de sélection scolaire angoissant et inefficace. Ensuite, à l’université, ce n’est pas mieux. Les enseignants-chercheurs, comme leurs collègues du secondaire sont insuffisamment nombreux et mal rémunérés, la précarité explose avec des vacataires parfois payés plusieurs mois en retard. Pour toutes ces raisons, la réussite en licence ne s’améliore pas.
A qui profite le crime ?
C’est la foire au privé dans le conseil à l’orientation avec l’émergence de coaching pour Parcoursup. C’est la foire au privé dans les salons de l’étudiant. C’est la foire au privé enfin au sein de la plateforme publique Parcoursup. Quand on cherche une formation dans le « commerce international », le moteur de recherche de Parcoursup propose 13 formations privées avant d’en proposer une publique. 40% des formations proposées par Parcoursup sont privées et les effectifs dans le privé ont bondi de 10% l’an dernier.
Et dans le privé, c’est parfois des formations à la qualité douteuse qui se développent, notamment celles qui bénéficient de l’apprentissage. En effet, France Compétence, donc le contribuable, paye une partie de frais d’inscription souvent élevés. Dans ce nouvel écosystème, de véritables multinationales prédatrices émergent, comme Galiléo Global Education, où viennent pantoufler d’anciens ministres.
Place au savoir !
Tout cela est terriblement triste. Nous avons besoin de recherches et de qualifications dans tous les domaines pour faire face aux immenses enjeux sociaux et écologiques. Le savoir critique enseigné par des enseignants-chercheurs à l’université est essentielle pour l’émancipation des citoyens et pour la démocratie. Au lieu de mettre tout le monde en compétition, les lycéens, les enseignants et les chercheurs, il serait beaucoup plus efficace de refonder un vrai service public de l’université et la recherche.
Redonnons des moyens à l’orientation pour que chacun puisse trouver sa voie, en recrutant massivement des psychologues de l’éducation et en confiant à l’ONISEP le rôle de pilotage !
Redonnons des moyens à l’université, avec au moins 30 000 personnels supplémentaires, moins précaires et mieux rémunérés !
Redonnons des moyens aux étudiants pour qu’ils puissent suivre la formation de leur choix et réussir leurs études avec une allocation d’autonomie et un vaste plan de construction de logements étudiants.
Redonnons des moyens à la recherche avec des crédits récurrents !
Cessons cette absurdité bureaucratique de la concurrence « libre et non faussée » pour l’accès au savoir et la production des connaissances. Finissons-en avec le système Parcoursup !