- Une crise économique, sociale, écologique et politique
Nous vivons une période charnière, l’alternative entre socialisme ou barbarie n’a jamais été aussi proche de nous. Le capitalisme s’enfonce dans sa crise et les classes dirigeantes sont incapables de résoudre les contradictions auxquelles elles sont confrontées. Dans un monde où la compétition est devenue, par leur faute, libre et non faussée, elles doivent augmenter l’attractivité de leurs territoires et la compétitivité des entreprises. Cela passe inéluctablement par une augmentation du taux d’exploitation des salariés européens et ainsi une baisse de leur pouvoir d’achat. Mais sans argent, ces derniers ne peuvent consommer à la hauteur de l’augmentation des moyens de production. Les entreprises ne vendent plus assez et l’austérité gagne. Pendant une dizaine d’années, la solution à cette contradiction ancienne a été palliée par une consommation soutenue à crédit. Les dettes privées comme les dettes publiques ont explosé, les produits financiers se sont complexifiés sans fin. Tout cela a enrichit les riches et appauvrit les pauvres. Maintenant les marchés qui doutent de la solvabilité de ces dettes, réclament une austérité des Etats qui s’ajoute à l’austérité salariale pratiquée depuis 30 ans.
A cette crise économique se surajoute une crise écologique. Or l’inévitable épuisement des ressources naturelles (pétrole, eau, minéraux, denrées alimentaires) aura pour conséquence un renchérissement de leur valeur et rend nécessaire une réorientation des moyens de production rendue impossible par l’asutérité. Ces crises conduisent à des crises sociales par une hausse sans précédent du chômage, des inégalités, de la précarité et de la souffrance au travail. Ces crises sociales produisent mécaniquement des crises politiques où les parties politiques dominants peuvent s’effondrer très rapidement aux profits de partis populistes d’extrêmes droites ou de la gauche radicale.
- Construire le FdG
Dans ce contexte, il fallait assurer l’unité de la représentation politique de notre camp social. La ligne de partage des intérêts des différentes classes est celle de l’acceptation ou non de l’austérité. Cela tombe bien car cela rejoint celle qui s’est dessinée dans notre pays depuis 30 ans: mouvement pour sauver la sécurité sociale en 1995, le développement d’ATTAC et des Forum Sociaux, le mouvement des retraites et des enseignants en 2003, ceux des étudiants et lycéens des années 2000 avec la victoire contre le CPE, la victoire du NON de gauche au TCE et enfin la récente bataille pour les retraites.
La campagne du FdG a su enfin donner une expression politique unifiée à ce camp qui est passé progressivement avec la crise du capitalisme d’une critique du libéralisme à une critique assumée du capitalisme et du productivisme dans son ensemble. Cette construction est ce que nous avons de plus précieux, nous devons tout faire pour la sauvegarder et obtenir son implication dans les luttes qui ne manquerons pas de se développer face au gouvernement d’Hollande s’il choisit la ligne de l’austérité.
Pour assurer le succès du FdG :
Il faut dès aujourd’hui se lancer dans la campagne des législatives avec la même ardeur que pour la présidentielle. La logique du vote utile va jouer à plein, il va falloir expliquer que le changement c’est le vote FdG.
Nous devons amplifier la dynamique des assemblées citoyennes en ouvrant dès à présent l’adhésion dans chaque quartier à des militants non encartés dans les forces qui composent actuellement le FdG. Cela passe par la création d’associations locales des amis ou militants du FdG.
L’orientation libérale des partis socialistes est durable. La candidature de Hollande, l’acceptation de la règle d’or et de la MES en ont été les derniers avatars. Il faut donc maintenir la stricte indépendance vis à vis du PS avec aucune participation à un gouvernement d’austérité, ni aucun soutien de nos parlementaires à une mesure antisociale. Cette indépendance doit aussi être mise en œuvre par les conseillers généraux, régionaux et maires qui appartiennent à des composantes du FdG. Chaque compromis avec les politiques d’austérité est un don fait au FN.
Nous devons continuer le combat contre le FN en réinvestissant politiquement et syndicalement ces quartiers péri-urbains et ces villages ruraux qui ont massivement voté pour le Pen.
Enfin il est nécessaire de continuer à tisser le lien fécond entre syndicats et partis politiques. Nous devons être les portes paroles politiques des revendications des travailleurs et notre programme doit donc sans cesse être nourrit par les travaux et les luttes des syndicats tout en respectant leur indépendance.
C’est dans ce cadre que se pose la question de la fondation d’un troisième pilier.
- Un troisième pilier nécessaire pour assurer le succès FdG
Tout nouvelle force n’a de sens que dans le cadre du FdG, c’est la conséquence directe de l’analyse de la situation que j’ai dressée précédemment. L’unité politique ne correspond pas à un besoin tactique propre à 2012, c’est une nécessité qui vient de loin (1995) et qui est appelée à durer. Nous ne sommes pas dans le FdG pas pour développer nos idées propres, mais pour le construire et assurer son succès.
Une mauvaise façon de poser le débat sur le troisième pilier serait de regarder les enjeux auxquels nous avons à faire face uniquement à partir de considérations tacticiennes. Comment peser le plus sur l’orientation politique du FdG ? Comment maintenir l’unité ? On connaît déjà les réponses qui nous sont proposées : la création d’un troisième pôle réunissant toutes les miettes qui ne sont pas au PG ou au PCF ou rejoindre un PG élargi qui nous semblerait conjoncturellement le lieu d’une recomposition indépendante du PS. Pour répondre à ces questions urgentes, je ne dis pas qu’il ne faudra pas in fine tenir compte de considérations tacticiennes à court terme, mais il faut subordonner notre horizon à des considérations stratégiques sur le long terme, même si celles-ci ne sont qu’à l’état d’ébauches.
Le FdG doit accoucher dans les années à venir d’une nouvelle synthèse alliant le socialisme, l’écologie, la démocratie, l’internationalisme, les combats féministes ou antiracistes. Pour cela, la pluralité dans le FdG doit se structurer. Je ne pense pas qu’un des courants détient la solution ultime pour réaliser la transformation sociale et le dépassement du capitalisme. Nous faisons le pari que la réunion du « meilleur des traditions du mouvement ouvrier » et leur mise en débat démocratique et fraternel est la seule assurance de ne pas recommencer éternellement les mêmes erreurs. Or nous l’avons vu au NPA. L’organisation du débat démocratique entre traditions différentes et qui étaient concurrentes dans le passé récent n’émerge pas d’une hypothétique fusion à la base des différents courants. L’idée d’un parti creuset a conduit à un échec au NPA, que le PG ne doit pas reproduire. Pour qu’une nouvelle synthèse progressiste et anticapitaliste émerge, il faut organiser et structurer les débats démocratiques entre points de vues issus de différentes traditions du mouvement ouvrier. Pour cela, il faut des partis ou courants qui organisent l’expression de cette pluralité. Je ne pense pas que l’organisation actuelle du FdG (2 partis et une myriade de groupuscules) soit satisfaisante. Il faut que chaque nouveau militant au FdG soit mis face à un paysage clarifié des différents courants en présence: une tendance républicaine (PG héritière de 1789 et de Jaurès), une communiste (PCF héritière de 1920 et 1945) et une autre « écosocialiste révolutionnaire » ou « anticapitaliste» issue de différents courants critiques de l’extrême gauche (héritière de 1968).
- Les délimitations du troisième pilier au sein du FdG
Il est évident que le troisième pilier sera au début une réunion de militants de la FASE, des communistes unitaires, de la Gauche Anticapitaliste, des Alternatifs, de la Gauche Unitaire et de Convergence & Alternative. Toutes ces forces ont en commun de n’être ni au PG ni au PCF, de se reconnaître ni dans la tradition communiste incarnée par le PCF actuel, ni dans la tradition républicaine issue du PS. Elles ont une histoire commune, certains ont été ensembles à la LCR, tous ont mené la campagne du NON au TCE et la campagne unitaire de 2007. Nous nous sommes souvent retrouvés au cours des luttes et nous partageons des orientations programmatiques (démocratie, écologie, féminisme, importance du combat antiraciste) et tactiques (indépendance vis à vis du PS). Un point de vue pragmatique consiste à commencer par nous réunir. C’est un bon point de départ, mais cela ne suffira pas à donner un élan et une lisibilité à notre regroupement. Nous devons trouver les lignes de force qui donnent de la cohérence à notre nécessaire unité.
Il me semble que tout peut se décliner à partir de notre relation à l’état. Pour les courants révolutionnaires, il n’est pas possible in fine de prendre l’appareil d’état tel quel pour exercer la transformation sociale. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut ni participer aux élections, ni éventuellement transitoirement à un gouvernement ou à d’autres institutions. L’état peut être comme d’autres institutions (l’école ou l’église) le lieu de la confrontation des classes, il ne faut donc pas s’empêcher de l’utiliser. Par contre, l’appareil d’état ne sera jamais neutre, c’est un puissant système capable de dissoudre toute confrontation de classe qui irait trop loin. Le dépassement du capitalisme ne peut donc faire l’économie de la question de l’état et de la démocratie. La revendication d’une sixième république est un moyen de poser cette question, mais ce n’est pas suffisant, nous devons aller plus loin et imaginer les modes d’organisation (double pouvoir, démocratie participative) qui permettront de sortir du capitalisme.
Le lien entre l’état et les forces politiques qui portent l’alternative politique, posent la question de l’institutionnalisation des partis, de la démocratie en leur sein et du processus de bureaucratisation. Dans un système capitaliste dans lequel les travailleurs sont aliénés et donc méprisés dans leur existence, se développent de fortes tendances à l’accaparement des pouvoirs par ceux à qui on donne des responsabilités. L’institutionnalisation des partis avec des maires ou des députés (mais c’est aussi vrai des responsables syndicaux) crée des tensions permanentes entre les revendications des militants, les choix des élus et les décisions du parti et cela exacerbe la bureaucratisation. Nous ne devons pas nier l’apport de positions institutionnelles comme le font les courants gauchistes, mais ne devons pas oubliés la contre partie et les menaces que font courir tout processus d’institutionnalisation. On ne règle pas ces problèmes par la morale, mais par la structuration du parti (rapport entre élus et militants, révocabilité des élus) et la conscientisation sur ces questions.
La non neutralité de l’état vis à vis des classes dominantes pose ensuite la question de l’impérialisme. La guerre et l’impérialisme sont le développement naturel du capitalisme. Par conséquent, tout raisonnement qui met en avant les intérêts de son propre pays, face à l’impérialisme américain par exemple, au prétexte qu’il serait lui porteur d’un universalisme meilleur creuse la tombe des travailleurs. C’est le meilleur pont vers le chauvinisme. C’est probablement là que git le principal désaccord et le plus problématique à court terme, avec la rhétorique qu’a développé Mélenchon. La France a de façon récurrente utilisé la logique civilisatrice de l’universalisme des lumières pour justifier son propre impérialisme à l’extérieur et une forme particulière de racisme à l’intérieur. La façon dont Mélenchon parle de la grandeur de la France, de ses mers (qui appartiennent en fait à nos colonies) est problématique. Par contre, cette critique de l’impérialisme français ne doit pas nous empêcher d’intégrer des questions géostratégiques et militaires.
C’est pour cette raison que le débat sur la république et la patrie constitue un quatrième point central. La nécessité d’une référence à une identité collective n’est pas à balayer d’un revers de main. Je pense que tout groupe socialement constitué a besoin d’une identité de groupe qui s’auto-entretient par le partage de mythes originels (révolution de 1789) et de rites (chanter l’hymne national). Cependant, il ne faut pas s’interdire de se questionner sur ces mythes : que cela soit l’unité de la nation ou celui de la classe ouvrière. Mais surtout, il faut voir politiquement et stratégiquement ce que veulent dire ces mythes et où ils nous conduisent. D’abord, chaque individu agrège une pluralité d’identités: langue, religion, lieu de naissance, lieux de vies, ou de travail. Subordonner ce pluralisme d’identités à une identité nationale et républicaine sous prétexte que la nation est le lieu d’une hypothétique souveraineté du peuple peut conduire à nier l’identité réelle des personnes. Une certaine vision républicaine de l’identité et des valeurs que nous devrions absolument partagées peut aboutir à nier la diversité qui fait aujourd’hui la richesse de l’Europe. L’universalisme peut s’avérer être le meilleur ennemi de l’humanisme. D’autre part, unifier sur cette base là (la république et la patrie) le corps social revient à réunir des riches bourgeois et des sans papiers. Or structurellement du fait des intérêts contradictoires imposés par la logique du capital, cette unité là n’a pas de sens politique, car ils ont économiquement des intérêts divergents. Pire croire que le patron et le salarié sont embarqués dans le même bateau facilite dans la lutte des classes la subordination idéologique du salarié au patron. Pour cette raison, si nous devons choisir des identités collectives auxquelles nous référer dans la lutte des classes, la notion de classe ouvrière me paraît moins problématique et plus juste[1].
La critique de l’état et des partis institutionnalisés pose la question du rôle des luttes dans les rapports de force entre les classes. L’histoire des luttes nous a enseigné beaucoup de choses auxquels nous sommes attachés. Nous arrachons nos victoires par des luttes syndicales ou associatives, des pratiques alternatives (autogestion, AMAP) et des élections. Mais nous ne hiérarchisons pas les formes de combat, les élections correspondent à une des ces formes, mais l’isoloir n’est pas plus important que ce que l’on construit dans une AG, dans une manifestation ou dans un quartier. Nous pensons même que la démocratie syndicale ou participative, est plus proche du modèle de démocratie que nous souhaitons développer que le modèle de démocratie représentative. De plus, depuis les années 70, nous avons conscience que même si la lutte contre l’exploitation économique peut unifier nos luttes, elles ne peuvent en aucun cas y être subordonnées. Ni la lutte féministe, ni la lutte antiraciste et encore moins les luttes écologistes ne peuvent être subordonnés à la lutte des classes. Il existe des interactions entre les différents fronts de luttes, le FdG se doit de leur donner une cohérence anticapitaliste globale, mais elles doivent demeurer autonomes car il existe des contradictions entre ces luttes qui ne sont pas toutes solubles dans la lutte des classes.
A mon avis il n’est pas possible de réfléchir à un troisième pilier sans poser ces questions, qui dessinent les moyens pour dépasser le capitalisme ainsi que la société future que nous voulons construire. Ce dont je suis sûr c’est que les réflexions issues de nos courants politiques enrichiront le débat qui doit avoir lieu dans l’ensemble du FdG. Or il n’y a pas d’autres moyens pour exister et faire valoir ces points de vue que de se structurer au sein d’un troisième pilier. Par ailleurs, ce troisième pilier aurait aussi l’intérêt d’éviter un mariage à deux (PG, PCF), face à face qui peut hélas se révéler instable.
[1] La référence à la patrie n’est pas la seule chez le PG et le PCF, évidemment la référence à la classe ouvrière est présente (nous partageons cette grille de lecture en commun). Mais la référence à une république mythifiée brouille la référence de classe.