Auteur/autrice de l’image

Fonctionnement du capital et crise du capitalisme

Dans son ouvrage intitulé « La grande crise du XXIème siècle. Une analyse marxiste », Isaac Johsua dresse un bilan de la crise de 2008. Je ne vais pas résumer l’ensemble du livre et discuter précisément de l’enchaînement des faits qui ont conduit à la crise de 2008, je souhaite plutôt donner quelques éléments qui éclairent les relations entre crise et capitalisme issus du chapitre 3 de ce même livre. Tout d’abord Isaac Johsua écrit que ce qu’il faut expliquer ce n’est pas l’existence d’une crise mais l’absence de crises dans l’après guerre. Jean Lescure en 1938 recensait déjà pas moins de 10 crises de surproduction (1836-1839 ; 1847 ; 1866 ; 1873 ; 1882-1884 ; 1890-1893 ; 1900 ; 1907 ; 1913). Le capitalisme se caractérise par un fonctionnement chaotique qui produit des crises à répétition. Depuis Marx, on analyse ces crises à partir des différentes contradictions du développement du capital. Isaac Johsua distingue trois types de sources des crises :

La crise de la « sous consommation » est la plus débattue par Marx dans le Capital et c’est celle qui est invoquée par de nombreux économistes de gauche pour expliquer la crise de 2008 selon Isaac Johsua. Le capital à partir d’un investissement A, crée une marchandise (M) à partir du travail des salariés (P) et acquière ainsi un surplus de valeur appelé plus value pour donner une nouvelle valeur A+. Ensuite cette plus value est répartie entre le salaire et le capital selon une proportion variable qui dépend du rapport de force mais aussi d’autres facteurs (coûts des ressources naturelles, coût du crédit). Mais pour que cette plus value soit effectivement transformée en argent il faut que la marchandise soit vendue. Or il existe une contradiction entre l’augmentation du taux de profit qui passe par la réduction de la part rendue aux salaires et la réalisation de la plus value qui dépend de la consommation des salariés. Marx écrit ainsi :

« La raison ultime de toute véritable crise demeure toujours la pauvreté et la limitation de la consommation des masses, en face de la tendance de la production capitaliste à développer les forces productives comme s’ils n’avaient pour limite que la capacité de consommation absolue de la société » Karl Marx Le Capital L.III, T.2 p145

La question de la distribution de la plus value entre salaire et capital est largement documentée et effectivement cette part a chuté drastiquement ces dernières années.

Le  second type de contradiction aussi présentée dans le Capital concerne la baisse tendancielle du taux de profit qui conduit aux crises de profitabilité. Dans ce cas l’analyse ne se porte plus sur la circulation du capital et la création de valeur mais sur la composition organique du capital. Marx distingue un capital fixe ou mort qui est constitué des moyens de production (machines, locaux) et un capital variable. L’augmentation de la productivité du travail est stimulée par la compétition. Mais pour augmenter cette productivité, il faut de plus en plus de machines. Par conséquent, la part du capital fixe augmente dans la composition globale du capital. Pour avoir un même un taux de profit, rapport entre le capital investit et la plus value, il faudrait pouvoir augmenter indéfiniment la plus value puisque la quantité de capital mort ne cesse de croître. Comme ce n’est pas possible, tendanciellement on devrait avoir une baisse du taux de profit. Cette baisse est vraie pour chaque secteur de production pris séparément, mais chaque nouveau secteur de production (le chemin de fer, l’automobile, l’informatique) présente au début l’avantage de connaître un capital fixe plus faible et donc une possibilité d’accumulation primitive plus forte.

Marx l’expliquait ainsi « Il faut bien que cet accroissement progressif du capital constant par rapport au capital variable ait nécessairement pour résultat une baisse graduelle du taux de profit général (…) le même nombre d’ouvriers, la même quantité de force de travail, que faisait travailler un capital variable, d’un volume de valeur donnée, mettra en mouvement dans le même laps de temps, par suite du développement des méthodes de production propre à la production capitaliste, une masse toujours plus grande de moyens de travail, de machines et de capital fixe de toute sorte, traitera et consommera productivement une quantité toujours plus grande de matières premières et auxiliaires – par conséquent il fera fonctionner un capital constant d’un volume en valeur en perpétuelle augmentation» Marx, le Capital, Livre III, Chap XIII.

Néanmoins ce raisonnement est évidemment tendanciel. Dans la réalité le taux de profit suit des variations qui dépendent aussi du taux d’exploitation des salariés, des nouveaux secteurs apparaissant et des nouveaux pays rentrant dans la mondialisation. Ceci explique pourquoi on ne retrouve pas forcément trace dans la réalité de cette baisse du taux de profit, ce qui explique les nombreuses controverses sur le sujet (notamment en ce qui concerne la restauration des taux de profits dans les années 80).

http://www.contretemps.eu/interventions/note-sur-trajectoire-taux-profit

et le texte d’Husson

http://hussonet.free.fr/dogmarx9.pdf

Ceci ne veut pas dire que cette contradiction n’est pas à l’œuvre. et qu’elle n’explique pas les trajectoires du capitalisme.

Le troisième type de contradiction concerne la tendance à l’autonomisation de la finance et la suraccumulation de capital.  Isaac Joshua distingue deux régimes d’accumulation A-P-A’ qui correspond au moyen normal d’accumulation du capital par passage par la production de biens matériels ou de services et le régime spéculatif A-A’ qui se réalise à la bourse ou lors d’un prêt bancaire. Selon Isaac Joshua, le capitalisme tend toujours à s’affranchir de la production pour aller vers une forme pure d’accumulation, le capital s’engendrant lui même. Le problème est que si ce capital est ensuite transformé en marchandises réelles cela coince car il ne correspond à aucune valeurs réelles crées. Pour le dire autrement il n’existe pas de travails et de marchandises réels correspondant à cette suraccumulation de capital. Par conséquent la bulle spéculative explose, c’est ce que Isaac Joshua appelle le rattrapage par le réel. Selon lui ces crises de suraccumulation explique la crise de 2008 et sont peu décrites ni par Marx ni par les économistes de gauche.

« Pourtant mettre en avant la crise de suraccumulation, c’est en quelque sorte revenir aux fondamentaux, c’est à dire revenir aux circuits du capital. Le but de la production capitaliste est tout entier concentré dans la fructification de la valeur, donc dans (A-A’), bien qu’à une échelle sociale, il soit impossible d’obtenir cet accroissement sans passer par la production (A-P-A’). La crise du capitalisme se situe dans le déchirement entre les deux, entre l’illusion de la valeur s’enfant elle même et le rappel au réel » p59

Je n’ai pas les compétences pour juger quelle est la contradiction majeure à l’œuvre dans les crises actuelles du capitalisme. Il est évident que ces trois contradictions jouent un rôle important mais aussi que d’autres facteurs aggravants (e.g les choix des gouvernements européens) peuvent contribuer à cette crise. Néanmoins, il est urgent de convaincre largement nos concitoyens que ces crises prennent leur source dans le régime d’accumulation capitaliste. Enfin l’analyse du rôle respectif de ces causes présente un enjeu important car cela détermine aussi si une politique réformiste radicale a un espace (e.g restauration d’une part des salaires plus importante) ou si le capital ne peut pas céder même ça, empêtrer qu’il est dans ces contradictions.

Partager cet article :

les autres publications