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Sobriété énergétique, l’État toujours à côté de la plaque

Tribune publiée dans Reporterre

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Les annonces du gouvernement en matière de sobriété sont loin du compte, estiment les auteurs de cette tribune. Preuve en est : les dégâts causés par la crise climatique se multiplient.

Hendrik Davi, député de la 5ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône.

Alma Dufour est députée de la 4ᵉ circonscription de la Seine-Maritime.

L’été 2022 aura été marqué par une sécheresse particulièrement inquiétante. C’est le mois de juillet le plus sec en France depuis 1959, avec un faible enneigement dans les Alpes, un niveau historiquement bas des rivières et des lacs, notamment dans le Sud. Les canicules successives et ces sécheresses ont causé des mégafeux historiques en France et en Europe. Cette situation pose la question de la nécessaire bifurcation écologique pour atténuer le changement climatique et s’adapter à la nouvelle donne climatique. C’est donc le moment de reposer la question de la sobriété dans toutes ces dimensions : sobriété énergétique et sobriété dans l’usage de nos ressources naturelles.

Le président de la République dans son allocution du 14 juillet a annoncé un plan sobriété qui vise à consommer moins d’énergie, pour faire face à la crise ukrainienne et au risque de rupture d’approvisionnement en gaz russe. C’est une bonne nouvelle pour le camp de l’écologie, au moins sur le plan des idées, car après la planification et la reconnaissance de l’importance des énergies renouvelables, le gouvernement découvre enfin la sobriété, qui constitue le principal pilier de la planification écologique.

Mais ce plan annoncé dans l’urgence vise à recourir aux mesures de sobriété de façon temporaire. Or la sobriété est une politique qu’il faut mener dans la durée, car elle est nécessaire pour la bifurcation écologique de nos moyens de production et de consommation.

Lire aussi : Sobriété énergétique, la solution oubliée : l’enquête de Reporterre

Commençons par définir la sobriété. C’est la diminution de la consommation primaire en énergie et matière, de manière à réduire notre empreinte écologique : baisse des émissions de gaz à effet de serre, moindre usage des ressources naturelles (eau, gaz, charbon, pétrole et ressources minières) et limitation de l’artificialisation des espaces naturels. La sobriété exige de gouverner par les besoins en réduisant toutes les consommations d’énergie et de matière possible.

Des annonces loin du compte

Que nous propose le gouvernement ? Un objectif de 10 % de réduction de la consommation d’énergie en deux ans et une réduction de 40 % sa consommation d’énergie d’ici 2050. Ces objectifs vont dans le bon sens, même s’ils ne sont pas encore assez ambitieux. Pour rappel, dans le scénario négaWatt, la consommation d’énergie finale devrait être réduite de 24 % d’ici 2030 et de 53 % d’ici 2050, par rapport à 2019.

À ce stade, des groupes de travail ont juste été constitués. La lecture des comptes-rendus est néanmoins édifiante. Il suffirait de faire connaître le dispositif Éco Énergie Tertiaire de 2019 ou l’arrêté sur les nuisances lumineuses et d’appliquer la loi Climat et Résilience en généralisant les bonnes pratiques. Bref, l’arsenal législatif serait suffisant, il faudrait juste l’appliquer.

De plus, le gouvernement aborde la sobriété de la mauvaise façon. Dans sa communication, il continue ses exhortations aux petits gestes individuels, alors qu’il n’a aucun mot sur les plus riches dont la surconsommation détruit notre environnement. Le marché des jets privés a par exemple quasiment doublé sa part de marché par rapport à 2019 pour monter à 12 % du transport aérien en 2021. Rappelons que 10 % des ménages les plus riches ont une empreinte carbone 2,11 fois plus forte que les 10 % les plus modestes. Il n’est pas possible d’exiger des efforts des plus modestes, sans également exiger une réduction drastique des consommations de luxe.

Par ailleurs, les annonces du gouvernement sont très loin du compte. Rien sur le logement, qui constitue presque 50 % des dépenses énergétiques, alors qu’il est urgent d’augmenter les moyens pour permettre la rénovation de 700 000 logements par an. Rien non plus sur le transport ferroviaire qui constitue, avec le transport de passagers et le ferroutage, une source inépuisable de sobriété. Par exemple, un trajet en métro émet 60 fois moins de CO2 qu’en voiture [1]. Il est urgent de constituer un pôle public du transport avec le développement du vélo et la généralisation des transports en commun gratuits au sein des métropoles.

« Les plus riches pourront continuer de jouer au golf »

Mais l’atténuation ne suffira pas, car il nous faudra quoiqu’il arrive nous adapter à cette situation climatique nouvelle. Nous devons donc transformer nos moyens de production notamment agricoles, mais aussi nos modes de consommation. Il faut entamer une réflexion sur le long terme sur ces sujets. Par exemple, quelles sont les cultures économes en eau qu’il faut favoriser, quelles sont celles que nous devrions abandonner ? Faut-il continuer de cultiver du maïs irrigué dans le sud pour nourrir du bétail ?

Le plan sobriété devrait aussi permettre de rouvrir le débat pour une agriculture écologique plus sobre dans son usage d’eau, de pesticides et d’engrais et moins dangereuse pour la santé des agriculteurs et des consommateurs. Il devrait être l’occasion de complètement repenser notre société de consommation en régulant la publicité et en étendant les garanties, pour en finir avec l’obsolescence programmée. Il nous faudra redéfinir quels sont les besoins essentiels qu’il nous faut préserver comme l’accès à l’eau potable en rendant gratuits les premiers mètres cubes d’eau et quelles sont les consommations de luxe que nous devons limiter voire interdire, comme l’arrosage des greens de golf pendant les périodes de sécheresse.
 
Sur tous ces sujets, il serait utile en parallèle du projet de loi sur la sobriété énergétique que prépare le gouvernement, d’entamer un plan pluriannuel sur les sécheresses, dans un cadre plus large de loi sur la sobriété concernant nos ressources hydriques. Sinon, nous connaissons la fin de l’histoire : les plus riches pourront continuer de jouer au golf, quand les plus modestes se verront interdire d’arroser leur potager.

Profitons de cette crise énergétique pour tout repenser dans notre modèle de production et dans nos modes de consommation. Mais pour parvenir à un plan sobriété partagée par toutes et tous, qui articule l’ensemble des thématiques concernées et combine l’intervention des différents niveaux de territoires, nous devons nous assurer de la participation de tous les citoyens dès l’élaboration du plan par l’organisation de débats publics.

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