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Recherche scientifique et bifurcation écologique

Article paru dans l’écho du Sup le magazine de la CGT-FERC Sup

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« La bifurcation écologique n’est plus seulement nécessaire, mais urgente. La recherche scientifique doit participer à opérer cette bifurcation mais c’est avant tout notre engagement collectif, politique et syndical, pour une rupture avec le capitalisme qui conditionnera cette bifurcation.

Il n’est plus possible d’ignorer les enjeux liés à la crise écologique. Notre mode de développement, lié à la volonté d’accumulation infinie du capital, nous pousse aux limites de notre planète[1]. Le changement climatique et la perte de biodiversité sont les deux principales menaces, mais nous franchissons de nombreuses autres limites planétaires[2]. Il est donc urgent de redéfinir un mode de développement compatible avec la préservation des ressources naturelles, limitant les pollutions, l’extinction des espèces et atténuant le changement climatique. Il nous faut donc collectivement engager une bifurcation écologique ambitieuse de nos modes de production et de consommation. Cela ne passe pas seulement par le développement des énergies renouvelables, mais d’abord et avant tout par une sobriété dans l’usage de nos ressources minières et biologiques[3].

Quelle est la place spécifique de la recherche et de l’université dans cette nécessaire bifurcation écologique ?

D’abord, commençons par dire que le principal problème n’est pas scientifique, ni technologique, mais bien politique. Aujourd’hui ceux qui nous dirigent refusent de s’affronter aux intérêts du Capital et notamment de rogner sur les dividendes des actionnaires qui continuent de flamber[4] à mesure que la planète littéralement brûle[5]. Pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, les solutions ne nécessitent pas de technologies nouvelles, ni pour la rénovation thermique des bâtiments[6], ni pour le développement massif des transports en commun, la transition écologique de l’agriculture ou la baisse des émissions par l’industrie. Le principal verrou est le coût des mesures à mettre en œuvre[7].

Il nous faut donc éviter tout discours positiviste qui nous inciterait à ne rien changer à notre paradigme économique, reportant sur la science, la recherche de solutions miracles. Nous devons éviter d’être les complices d’une telle fuite en avant. Mais la science et l’université ont un rôle spécifique à jouer qu’il faut détailler.

Bifurcation écologique et émancipation

Il n’y aura pas de bifurcation écologique sans justice sociale et émancipation du plus grand nombre. C’est la conclusion de toutes les études scientifiques sérieuses[8] et aussi le pari des partis de gauches et des syndicats progressistes. L’émancipation des femmes permet de limiter la surpopulation. Parier sur l’être, plutôt que sur l’avoir, permet de sortir de la logique de surconsommation. Les sciences sociales qui décortiquent les oppressions et réfléchissent sur les comportements humains sont donc indispensables à la transition écologique de notre société.

Faire le pari du savoir  

Nous ne connaissons pas encore tous les défis et les solutions possibles. Le savoir scientifique sera un allié indispensable pour trouver des solutions ou aider à la décision démocratique entre plusieurs possibilités. Pour cela, il nous faut recouvrer le temps long en recherche fondamentale, la liberté académique et l’indépendance des chercheurs. Nous devons donc retrouver des crédits récurrents et les personnels doivent sortir de la précarité permanente. Le « publish or perish » est le pendant en science de la société de consommation et de la société du spectacle. Le statut de fonctionnaire est encore le meilleur garant pour assurer la liberté académique des chercheurs. Les recrutements doivent être à la hauteur des enjeux et les rémunérations revalorisées.

Il faut aussi que ce savoir puisse être transmis au plus grand nombre. Il faut donc revenir sur Parcoursup pour que tous les étudiants bénéficient droit à la poursuite des études[9]. Dans un monde à +4°C, nous ne devrons avoir une jeunesse de plus en plus qualifiée.

Continuum entre recherche fondamentale – recherche finalisée et les acteurs

Évidemment nous aurons besoin de recherches finalisées et d’innovations technologiques et sociales pour faire face aux défis de la bifurcation écologique. Comment faire sans la logique d’appels à projet et sa mise en compétition pernicieuse ? Je suggère de faire des instituts de recherches finalisées comme l’INRAE ou le CEA des locomotives sur l’agriculture et l’énergie. Ensuite, la transmission aux acteurs doit passer avant tout par l’emploi des docteurs dans l’industrie et la redynamisation de la R&D privée par des aides ciblées et la renationalisation des entreprises de certains secteurs comme le transport et l’énergie.

Pour conclure, je ne pense pas que cette bifurcation écologique ne soit possible sans s’attaquer au cours actuel du capitalisme. De la même façon, la science retrouvera toute sa place que si elle s’émancipe de la logique néolibérale actuelle. La science elle-même peut faire des efforts dans ses pratiques comme le suggère l’initiative Labo 1point5[10]. Mais le plus important, est que les chercheurs puissent faire leur travail de scientifiques en toute indépendance. C’est aussi la meilleure façon de renouer un vrai lien de confiance avec la société[11].

[1] Le capital c’est nous : Manifeste pour une justice sociale et écologique. Hendrik Davi. Edition Hors d’Atteinte. 384p.

[2] Rockström, J. et al. A safe operating space for humanity. Nature 461, 472–475 (2009).

[3] https://reporterre.net/Sobriete-energetique-l-Etat-toujours-a-cote-de-la-plaque

[4] https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/les-dividendes-atteignent-de-nouveaux-records-1973613

[5] https://www.lefigaro.fr/international/incendies-bilan-de-l-ete-2023-ou-la-terre-s-est-embrasee-20230824

[6] https://www.dailymotion.com/video/x8e9nzq

[7] https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/22/jean-pisani-ferry-appelle-dans-un-rapport-a-financer-plus-equitablement-la-transition-climatique_6174327_823448.html

[8] Creutzig, F., Niamir, L., Bai, X. et al. Demand-side solutions to climate change mitigation consistent with high levels of well-being. Nat. Clim. Chang. 12, 36–46 (2022). https://doi.org/10.1038/s41558-021-01219-y

[9] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0791_proposition-loi

[10] https://labos1point5.org

[11] https://www.nss-journal.org/articles/nss/abs/2021/04/nss210053/nss210053.html

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