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Exigeons la transparence sur les « Data Centers » !

Dans cette note de blog, je reviens sur le développement des data centers notamment à Marseille. Je propose que nous réfléchissions plus à nos usages numériques. Il est nécessaire d’exigence la transparence sur le type de données stockées et sur les ressources consommées par ces data centers.

 


 

Le concept de « Cloud » est un formidable « coup de com ». Il ancre dans l’imaginaire collectif l’idée que le numérique est comme un nuage, une entité flottante et incorporelle. Cette métaphore marketing occulte une réalité autrement moins vaporeuse. Boites mails, plateformes de streaming, transactions bancaires … Les services dont le monde entier se sert quotidiennement impliquent d’utiliser des énormes centres informatiques, qui réceptionnent, stockent, traitent et envoient les données demandées à qui les entrepose ou les réclame.

Un développement frénétique portée par l’IA

À Marseille, où le soleil brille 170 jours par an, les nuages ont quitté le ciel depuis longtemps pour s’implanter sur terre, dans des immenses datacenters qui hébergent des quantités tout aussi énormes de données. La cité phocéenne est ainsi devenue l’une des grandes places du stockage de données à l’échelle internationale. À l’heure où ces lignes sont écrites, elle est à la 6ème place des grands hubs mondiaux, juste derrière Paris[1]. Elle était 44ème il y a 10 ans.

Alors que la ville n’abritait qu’un datacenter modeste en 2014, on dénombre aujourd’hui une douzaine de bâtiments dédiés à cette activité et plus de 40 000 m² de surface informatique équipée[2]. La ville doit ce développement aux 18 câbles sous-marins qui la relie aux autres continents, dont le « 2Africa », un câble record qui ceinture l’ensemble du continent africain sur plus de 37 000 kilomètres. Le business de la data mise ainsi sur la position géostratégique de Marseille, au croisement de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie et du Moyen-Orient.

Cette frénésie est largement portée par le développement de l’IA générative. Le secteur de l’IA n’est pas juste une nouvelle activité, semblable au stockage de type cloud ou au streaming. Il nécessite beaucoup plus d’énergie pour fonctionner, et génère beaucoup plus de chaleur, ce qui exige des systèmes de refroidissement plus puissants, et donc plus d’énergie.

Accaparement des surfaces et des ressources

Nous pourrions imaginer que l’installation des datacenters soit une chance pour le territoire et ses habitants, avec des retombées économiques et des emplois, le tout au prix de l’installation de quelques bâtiments imposants, mais finalement assez discrets.

La réalité est bien différente, l’industrie de la data est prédatrice, notamment parce qu’elle est très peu réglementée. Elle s’accapare assez librement les ressources nécessaires à son fonctionnement, avec la complicité de l’État, qui à Marseille possède le GPMM[3] sous tutelle.

La première chose dont ont besoin les datacenters, c’est d’espace. Le stockage de données nécessite des milliers et des milliers de mètres carrés de surfaces occupées par des disques durs surchauffés. Les industries repèrent les zones proches des arrivées terrestres des câbles sous-marins, où il est possible d’effectuer ces installations. À ce titre, le GPMM est devenu l’eldorado des investisseurs. Absence de stratégie de développement des puissances publiques, vieux bâtiments inutilisés depuis des décennies, proximité de la mer, le port de Marseille est particulièrement prisé des géants de la data.

C’est Digital Realty, une entreprise américaine, qui a su tirer parti de la situation avant les autres. Elle possède aujourd’hui 5 datacenters à Marseille, le premier en centre-ville (MRS1, 6200 m²) et les suivants dans l’enceinte du port, MRS2, (4400 m²), MRS3 (7100 m²), MRS4 (6700 m²) et le nouveau MRS5 (12200 m²)[4].

Mais cet accaparement du foncier est-il un problème ?

Oui. D’abord, les datacenters ne génèrent quasiment aucune retombée en termes d’emplois ou d’économie locale. En effet, au regard des impôts, les datacenters sont considérés comme de simples hangars sans réelle valeur ajoutée, alors qu’ils génèrent pour les entreprises qui les possèdent des millions d’euros[5].

La plupart des emplois nécessitent une main d’œuvre spécifiquement qualifiée directement importée par Digital Realty. Il n’y a tout au plus que quelques postes qui s’ouvrent, en maintenance et en sécurité. Selon la Quadrature du Net, le ratio est même évalué à un emploi à temps plein pour 10 000 m2 occupés en moyenne[6]. Disons-le franchement : Les centres de données parasitent purement et simplement l’espace des territoires qu’ils investissent.

Mais si l’espace ne nous manquait pas, ce ne serait pas un problème. Or le foncier marseillais est en crise. L’espace disponible se raréfie. Cela impose une réflexion globale sur l’organisation du territoire, à plus forte raison lorsque les datacenters s’implantent dans des quartiers, qui manquent de logements, d’équipements publics, ou d’espaces naturels.

Mais le foncier est loin d’être le seul problème.

La quantité d’électricité nécessaire aux datacenters pour fonctionner est énorme. Selon Sébastien Barles, élu écologiste à la ville de Marseille, MRS3 consommerait à lui seul la même quantité d’énergie que 50 000 habitants[7]. C’est faramineux…

Il faut bien comprendre que l’énergie est loin d’être une ressource infinie. Ce qui est alloué sans restriction aux datacenters peut un jour manquer aux habitations, aux espaces publics, ou aux projets de transition écologique. Par exemple, il existe une tension entre l’électrification des quais et la consommation des data center. La nature des contrats passés entre Digital Realty et RTE / Enedis est particulièrement opaque. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que les datacenters accaparent beaucoup plus d’énergie qu’ils n’en utilisent réellement, arguant la nécessité d’avoir une solution de secours immédiate en cas de panne, pour des questions de continuité de service.

En l’absence de réglementation, ce sont les règles du libre marché qui s’appliquent, et sans surprise, la logique de profits l’emporte avec une conséquence « big is beautiful », au détriment de toute autre considération. Alors qu’MRS2 ne s’étalait « que » sur 4400m², MRS5 offre plus de 12 200m² de surface informatisée, et consomme autant d’électricité que toute la population du 13ème arrondissement[8]. Cette logique exponentielle ne s’arrête évidemment pas ici, puisque Digital Realty a pour projet d’ouvrir MRS6 à Bouc-Bel-Air, pour près de 20 000m² de salles informatiques et une consommation qui se rapproche de celle de Marseille toute entière…[9] Si les chiffres peuvent surprendre, c’est qu’il faut bien comprendre que la surface occupée n’est pas la seule variable. La puissance de calcul offerte par les centres les plus imposants permet de rendre rentables les activités liées à l’intelligence artificielle.

La question du refroidissement est un autre sujet majeur et il pose la question de l’accaparement des ressources en eau. À Marseille, Digital Realty met en vitrine le « River Cooling », un système mis en place pour refroidir MRS3 à l’aide d’une eau pompée à 15° dans les anciennes galeries de la mine sous-terraine de Gardanne. Cette eau est ensuite relâchée dans la méditerranée à 30°, avec probablement des conséquences sur la biodiversité marine. Si le système peut paraître ingénieux, il soulève à nouveau des questions fondamentales, à l’heure où le dérèglement climatique et les sécheresses engendrent une pression accrue sur les ressources en eau. Précisons d’ailleurs qu’MRS3 a été épinglé par la DREAL pour des fuites conséquentes de gaz fluorés, amenant le datacenter à émettre finalement plus de GES que ses pairs[10]

De manière générale, tous les datacenters utilisent de l’eau en quantité pharaonique. C’est le cas notamment de PAR08, le plus grand datacenter de France situé à La Courneuve (93) et géré par… Digital Realty. Il a notamment été épinglé en 2023 pour avoir utilisé 248 091 m3 d’eau provenant tout simplement du circuit d’eau potable de la ville de Saint-Denis[11] (93), le tout alors que la zone est sujette aux sécheresses répétées depuis 2003.

Régulation et transparence

Aux USA, les datacenters de Google consomment 16 milliards de litres d’eau par an. En Irlande, on apprend dans un rapport que la consommation électrique des data centers passera de 11 % à 27 % de la consommation électrique nationale d’ici 2028. Il est notamment écrit que « cela entraînera probablement une situation où la demande dépasse l’offre disponible lors des pics de consommation et entraînera des délestages, les consommateurs seront confrontés à des pannes de courant ».[12]

En France, le cabinet d’analystes Gartner prédit pour 2027 des pénuries d’électricité qui ne permettront plus de faire tourner une partie des datacenters[13]. La frénésie industrielle actuelle et la prolifération exponentielle de ces usines à données sont donc encore plus absurdes, et relèvent d’une pensée court-termiste dont il nous faut nous défaire.

Il y a donc urgence à réguler. Mais réguler quoi, et comment ?

Les services rendus par des datacenters sont intimement liés à notre quotidien : vidéo en streaming, mailing, stockage des données personnelles et celles des entreprises. Réclamer le départ des datacenters revient à exiger qu’un autre territoire ait à porter le fardeau pour des services dont nous bénéficions tous les jours. Politiquement, c’est insuffisant.

Il faut d’abord réfléchir à notre nouveau mode de société où nous sommes le produit et dans lequel nos requêtes dans Google ou ChatGPT produisent une montagne de données personnelles, qui permet de mieux cibler le marketing. Ces données sont utiles aux entreprises pour nous pousser à consommer des services et des marchandises dont nous n’avons pas besoin, que ce marketing très agressif sait très bien cibler. Cette société de consommation n’est pas durable pour la planète, mais en plus elle génère des données qui peuvent s’avérer dangereuses pour les libertés publiques. La Chine ou la Russie utilisent déjà toutes les possibilités que le numérique offre pour le contrôle social. Nos pays ne sont pas en reste.

Il nous faut aussi interroger l’utilité du type de données qu’abritent les datacenters qui investissent le territoire marseillais, et plus généralement le territoire national.

Selon le collectif marseillais « Le nuage était sous nos pieds », « 80 % des données stockées dans ces centres servent des enjeux privés, des transactions financières, les bitcoins, le trading, ou pour les grands industriels du numérique »[14].

Si c’est avéré, alors pouvons-nous vraiment accepter le développement des data center ? Pouvons-nous vraiment accepter qu’une entreprise américaine s’enrichisse en s’accaparant notre eau, notre territoire et notre énergie, le tout pour permettre à la finance dématérialisée de continuer à jouer en bourse ?

Laisser des grandes entreprises étrangères coloniser notre espace à moindre coût ne relève pas que de la faute sur le plan économique, écologique et sociale. C’est aussi une faute stratégique et politique pour une raison très simple : les services de notre État hébergent sans aucun doute certaines données parfois très sensibles dans ces grands centres. Or, la guerre a pris de nouvelles formes, et il est déjà démontré que les câbles sous-marins et les datacenters sont les cibles privilégiées des services de renseignements étrangers. Preuve en est le piratage par la NSA des 16 sociétés qui gèrent un câble sous-marin, révélé par Edward Snowden en 2013[15].Il est complètement invraisemblable d’offrir à des intérêts extranationaux nos données stratégiques.

Il est urgent de mettre en place un moratoire pour restaurer de la démocratie et de la raison dans le marché de la donnée. J’ai déposé un amendement dans le projet de loi de simplification de la vie économique pour proposer un moratoire sur les datacenters de plus de 2000 m2 et 2MW. J’en ai déposé un autre pour éviter toute artificialisation des terres par des projets de datacenters.

Mais surtout pour savoir quels sont nos vrais besoins de stockage, nous avons besoin d’une pleine transparence. Transparence sur le type de données qui sont stockées : streaming vidéo, données personnelles, IA…Transparence sur les ressources en eau et en énergie consommées par ces datacenters

C’est sur ce sujet de la transparence, que je compte construire une proposition de loi.

[1] https://dcmag.fr/marseille-devient-le-sixieme-hub-internet-mondial/

[2] https://www.laquadrature.net/2024/11/20/accaparement-du-territoire-par-les-infrastructures-du-numerique/

[3] https://www.marseille-port.fr

[4] https://www.digitalrealty.fr/data-centers/emea/marseille

[5] https://www.galm-avocats.com/upload/GALM—Newsletter-Data-Centers-le-13.12.2022.pdf

[6] https://www.laquadrature.net/moratoire-data-centers/

[7] https://reporterre.net/A-Marseille-la-demesure-des-data-centers

[8] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/un-sixieme-data-center-a-marseille-7661801

[9] https://gomet.net/data-center-digital-realty-mrs6-bouc-bel-air/

[10] https://marsactu.fr/des-fuites-de-gaz-fluores-ombre-au-tableau-du-developpement-exponentiel-des-data-centers/

[11] https://www.laquadrature.net/2024/11/20/accaparement-du-territoire-par-les-infrastructures-du-numerique/

[12] https://reporterre.net/Trop-de-data-centers-l-Irlande-risque-la-panne-electrique

[13] https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-face-a-la-croissance-des-datacenters-ia-gartner-predit-des-penuries-d-electricite-95225.html

[14] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/un-sixieme-data-center-a-marseille-7661801

[15] https://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/12/30/la-nsa-a-pirate-orange-pour-acceder-aux-donnees-d-un-cable-sous-marin_4341168_651865.html

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