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Du rapport Gillet sur la recherche et l’innovation

Suite à une lettre de mission de la ministre de l’Enseignement Supérieur Sylvie Retailleau, Philippe Gillet a rendu un rapport sur « l’écosystème de la recherche et de l’innovation » avec à la clé 14 propositions. Je vous livre ici mon analyse de ce rapport publié initialement sur mon blog de Médiapart.

Ce rapport pose quelques constats que je peux partager, mais les propositions faites à de rares exceptions près menacent encore un peu plus un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche déjà bien affaibli.

Nous avons besoin de plus de savoirs scientifiques pour affronter les défis auxquels nous faisons face. Il est donc absolument nécessaire de renforcer le dialogue entre citoyens et scientifiques d’une part et entre scientifiques et le monde politique d’autre part. Ce constat est partagé par le rapport. Mais nous devons éviter l’écueil de la République des experts. C’est le politique dûment mandaté par les citoyens qui doit décider. Le scientifique est là pour exposer les faits scientifiques qui permettent d’éclairer au mieux la décision, mais en aucun cas il doit se substituer au politique. Or la première proposition du rapport Gillet ne va pas dans le bon sens. Il propose de créer un poste de « haut conseiller à la science auprès du président ou du premier ministre. Cette proposition fait fi de la nécessaire collégialité de l’expertise. Un scientifique ne peut être expert sur tous les champs scientifiques. D’autre part, placer ce conseiller à ce niveau-là, réduit le rôle du ministre de l’ESR et participe à brouiller les rôles entre politiques et scientifiques.

Les crises écologiques et sociales exigent que nous renforcions la recherche en France. C’est une évidence. Or la France est un des seuls pays de l’OCDE qui n’a pas augmenté sa dépense en R&D ces dernières années. Elle était de 2.27% en 1990 et elle est de 2.21 en 2021[1], alors que 5 pays européens allouent plus de 3% de leur PIB à la R&D (Suède, Belgique, Autriche, Allemagne, Finlande). Le rapport mentionne ce fait majeur, mais ne fait aucune proposition budgétaire pour résoudre ce problème. Pire, il suggère de faire enseigner les chercheurs des EPSTs et EPIC pour gérer la pénurie[2], au lieu de proposer l’augmentation du nombre de recrutements de MCF : « Est-il vraiment insurmontable pour un chercheur d’ONR de faire entre 32 et 64h ETD d’enseignement par an ? La mission pense que non, et propose que cette orientation soit progressivement appliquée au niveau national » p72. Par ailleurs, dans les instituts de recherche finalisée, les chercheurs ont aussi pour mission le transfert des connaissances vers le monde professionnel. Ajouter une mission d’enseignement réduira le temps alloué au transfert et à l’innovation, que souhaite soi-disant favoriser le rapport.

Les opérateurs nationaux de recherche (ONR) qu’ils soient des EPST[3] ou des EPIC[4] sont menacés depuis de nombreuses années. D’abord, il existe depuis 2007 une volonté de recentrer l’effort de recherche autour des universités. D’autre part, les petits EPST sont sommés de se regrouper avec d’autres. Ce fut le cas de l’IRSTEA qui a dû fusionner avec l’INRA. Or chaque EPST ou EPIC a sa raison d’être, ses réseaux à l’étranger, des façons de procéder qui lui sont spécifiques…A première vue, le rapport pourrait sembler rassurant concernant la pérennité des EPST puisque sa proposition phare vise à les rendre responsables de programmes nationaux de recherche et de devenir des agences de programme (proposition 5). Remarquons d’abord que certains instituts du CNRS (INSU) ou EPST ont pu jouer par le passé déjà ce rôle. Mais un des problèmes majeurs est que nous n’avons aucune garanti que ce pilotage soient décidés démocratiquement en tenant compte vraiment des réflexions des agents des ONR. Mais ce renforcement du rôle des ONR est une illusion. La proposition 2 de budget global rend caduque la distinction budgétaire entre universités et ONR. Le risque est grand qu’à terme les ONR ne soient que des agences de programmes sans moyens, avec un transfert assumé des ressources humaines aux universités. Ceci est cohérent avec le caractère obligatoire d’une mission d’enseignement pour les chercheurs. Les petits ONR qui ne seront pas agence de programme sont encore plus menacés. Le rapport stipule explicitement : « Ces évolutions nécessiteront aussi que le ministère porte une réflexion approfondie sur la place des opérateurs de recherche de petite ou très petite taille (EPIC et EPST). S’ils ont tous leur légitimité́ scientifique, la question de leur maintien ou d’un rapprochement entre eux, ou avec d’autres ONR devra au moins être posée. » P42

Ce rapport menace aussi les universités. Il entérine le modèle d’université à deux vitesses avec des universités de recherche intensive et des universités plus tournées sur les territoires. Il risque d’accentuer la politique de site actuelle et la compétition entre universités.  Pire, il suggère d’avancer sur la modulation de la charge d’enseignement en fonction des recherches menées par les enseignants et de recruter plus de PRAG. Cette dynamique menace l’esprit même de l’université, dont la spécificité est de partager des savoirs en construction et donc d’être à la pointe des avancées dans chacune des disciplines. Par ailleurs, vue la crise de recrutement dans le secondaire, nous pouvons nous demander où les universités vont trouver des PRAGs. Au lieu d’aider des enseignants à retrouver du dynamisme dans leur recherche, on les pousse à arrêter la recherche. Ce serait une erreur, car nous perdrions ainsi du potentiel de recherche. Enfin, la création de programmes de recherche conçu sans les universitaires menace de vassaliser les universités au profit des ONR et la construction de programmes purement disciplinaires pourrait affaiblir les stratégies interdisciplinaires qui croisent divers savoirs en écologie, agronomie, sciences humaines, physique, mathématiques pour aborder certains sujets….

La recherche est aussi malade d’une gestion managériale absurde avec une inflation de la bureaucratie, qui prend sa source dans l’explosion du nombre de nouvelles structures et dans la systématisation du financement de la recherche par appel à projet. Le rapport relève bien par endroit la nécessité de simplifier le système et d’augmenter les crédits récurrents alloués aux chercheurs, notamment pour retrouver une liberté académique sans laquelle aucune innovation n’est possible. Hélas, presque toutes les propositions aggraveront les maux actuels et rien n’est proposé pour limiter l’inflation des appels à projets. Il propose bien une augmentation des crédits récurrents en ponctionnant les projets du PIA, mais au lieu de redonner l’argent à toutes les unités, on sélectionnera encore les unités retenues à partir des évaluation HECRES ou de leurs projets. Tout « saupoudrage » est exclu concernant l’allocation des moyens aux unités de recherche dans le service public, alors que le « saupoudrage » est la règle d’or pour le privé avec le Crédit Impôt Recherche (CIR). D’autre part, les ONR seront à la fois opérateur de recherche et agence de programme. Pour cela le rapport stipule : « A ce titre, l’ONR auquel serait confié la mission d’agence de programmes doit garantir de façon stricte, dans son organisation, la complète séparation entre ses activités d’agence de programmes et celles d’opérateur de recherche. » P44. Une véritable usine à gaz sans moyen supplémentaire. Par ailleurs, les deux agences responsables de l’enfer bureaucratique dans la recherche sont l’ANR et l’HCERES. Au lieu de les supprimer et donc de redonner de véritables prérogatives aux ONR, le rapport propose de les renforcer. « La mise en place et la gestion des AAP en lien avec les programmes sont confiés à l’ANR » p45.  Concernant le HCERES, il sera mis à contribution pour évaluer les Contrats d’Objectif, de Moyens et de Performances (COMP[5]) et l’allocation des crédits aux jeunes chercheurs. Le rapport propose de plus faire dépendre l’allocation des moyens et de l’évaluation HCERES. L’enfer bureaucratique qui procède de la systématisation des appels à projet et de l’évaluationnite aigue va donc se renforcer. Le risque est grand que nous ayons encore moins de personnels administratifs pour gérer cette inflation bureaucratique, car le rapport propose la mutualisation des gestionnaires entre ONR et universités. Enfin, on peut douter que les propositions sur les simplifications pour les Unités Mixtes de Recherche aboutissent vraiment à la simplification souhaitée. Au lieu de créer un système de gestion national commun à tous les acteurs, il propose de créer de nouveaux systèmes de gestion site par site….

Le rapport reste prisonnier d’une vision néolibérale de la recherche où la compétition demeure le maître mot. Il vise à renforcer encore plus l’individualisme en ne proposant des crédits récurrents qu’aux seuls jeunes chercheur ou renforçant le rôle des directeurs d’unité sans mentionner une seule fois le conseil d’unité. Il ne traite jamais de la précarité des financements et des personnels. Il y a 54 occurrences du mot « évaluation » et 27 occurrences du terme « indicateur » sur 80 pages. Enfin, l’ensemble se donne pour objectif de renforcer l’innovation et la technologie sans aucun état des lieux de ce qui dysfonctionne vraiment dans le continuum production de connaissances fondamentales, connaissances finalisées, création d’innovations et transfert industriel. En réalité, en France c’est le secteur aval qui est en panne. Les dépenses de la R&D privée sont très insuffisantes, ce qui explique en grande partie que nous sommes le seul pays de l’OCDE, qui n’a pas augmenté ses dépenses de R&D depuis les années 2000. Les dépenses de la R&D privée stagnent, alors que nous dépensons « un pognon de dingue » (plus de 7 Md€ !) avec le crédit impôt recherche. Il faut donc revoir complètement nos dispositifs d’aide aux entreprises. Mais surtout il est absolument urgent de réfléchir à notre stratégie industrielle, pour relocaliser nos productions et repenser en profondeur les process industrielles pour limiter leur impact écologique.

Il y a quelques rares points positifs dans le rapport. Il reconnaît l’importance de la recherche fondamentale, le temps long et la liberté académique, sans lesquelles il n’y a pas non plus d’innovations. Il suggère de diminuer la charge d’enseignement pour les nouveaux maitres de conférences. Il propose de favoriser l’emploi de docteurs dans les administrations, mais on attend toujours une vraie reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives. Il préconise de renforcer le pilotage par le MESR contre Bercy qui a pris beaucoup trop d’importance avec l’émergence des PIA[6]. Il critique par ailleurs, leur logique déstabilisatrice des collectifs de recherche et sources d’inégalités très fortes concernant les moyens alloués. Il y a donc quelques rares moments de lucidité dans un océan de novlangue managérial. Mais en réalité, les solutions proposées risquent d’empirer la situation faute de vouloir changer de paradigme.

Les solutions que nous portons avec la NUPES sont toutes autres[7]. Nous avons besoin de renforcer la recherche scientifique en retrouvant de la liberté académique. Pour cela, il faut recouvrer le temps long et en finir avec la précarité des financements et des personnels. Nous devons donc investir massivement dans les universités et les EPSTs, titulariser tous les contractuels exerçant des fonctions pérennes, garantir un plan pluriannuel d’emplois ambitieux, revaloriser les salaires et doter les unités de crédits récurrents. Enfin, pour définir les grandes orientations de la recherche faisons confiance à des conseils élus par les pairs qui impliquent EPSTs, EPIC et université, en prenant exemple sur les CNU[8]ou le CoCNRS[9]. Faisons le pari de la démocratie sociale, plutôt que de renforcer les vieilles recettes managériales néolibérales.

[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281637?sommaire=3281778

[2] « Aujourd’hui de nombreux chercheurs participent déjà activement à l’enseignement universitaire. Si demain tous faisaient entre 32 et 64 h par an nous résoudrions une partie d’un problème chronique. »

[3]https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tablissement_public_%C3%A0_caract%C3%A8re_scientifique_et_technologique

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Établissement_public_à_caractère_industriel_et_commercial_en_France

[5] Signé entre le ministère les ONR et chaque université

[6] https://www.gouvernement.fr/le-programme-d-investissements-d-avenir

[7] Voir notre proposition de loi NUPES déposée en février https://blogs.mediapart.fr/hendrik-davi/blog/180223/une-autre-universite-est-possible

[8] https://conseil-national-des-universites.fr/cnu/#/

[9] https://www.cnrs.fr/comitenational/

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