Tribune publié dans le monde le 21 avril 2017
Dans un article du Monde datant du 20 avril[1], un collectif de chercheurs attaque le programme de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) de la France Insoumise. Si la critique est évidemment légitime, la caricature l’est moins surtout à deux jours d’une élection aussi importante et indécise.
Tout d’abord, les auteurs renvoient dos à dos notre programme et celui du FN en titrant leur tribune : « Les programmes de Le Pen et Mélenchon pourraient nuire gravement à la science». Cette pratique qui consiste à associer dans un même titre deux programmes pourtant antagonistes par bien des points, afin de jeter facilement le discrédit sur la candidature de Jean Luc Mélenchon ne fait pas honneur aux auteurs de l’article. Les comparatifs de programme ciblés sur l’ESR ne manquent pourtant pas[2]. Ils permettent aisément de se rendre compte des différences entre les deux programmes. Nous proposons par exemple un recrutement de 5000 personnels en 3 ans et une allocation de 800 euros pour les étudiants, quand le FN ne prévoit rien sur ces deux aspects !!! Par certains aspects, notre programme se rapproche d’ailleurs plus de celui de Benoît Hamon, que pourtant certains des signataires défendent.
Ensuite, leurs critiques s’articulent en plusieurs points : Ils ne croient pas que nous puissions sortir de l’austérité. Ils promeuvent une recherche par projets (ANR) gérée par et pour l’excellence, dont le moteur est plus la compétition (HCERES, prime d’excellence) que la coopération. Ils défendent un lien fort avec les entreprises privées et défendent la poursuite de l’autonomie des universités
Nous assumons ces différences et pensons qu’une grande majorité des scientifiques, comme nous, souhaite la fin de la course aux publications et de cette compétition délétère entre laboratoires et entre universités, une diminution de la précarité, une augmentation des crédits récurrents et une plus grande indépendance vis-à-vis de grands groupes privés.
Prenons ces divergences, point par point, et essayons de sortir des caricatures
Les signataires ne croient pas que l’on puisse sortir de l’austérité et ils qualifient nos propositions d’augmentation du budget de l’ESR de 4.6 Milliards par an et de recrutement massif de personnels de « propositions généreuses ». Par conséquent, doit-on en déduire qu’ils sont contre les objectifs de l’UE de porter l’effort ESR à 3% du PIB ? Ne pensent-ils-pas qu’il est souhaitable d’investir massivement dans la recherche ? Comment peut-on croire que les moyens n’existent pas alors que le Crédit Impôt Recherche (CIR) constitue un manque à gagner de plus de 5 milliards d’euros pour l’Etat ! Or même le secrétaire d’Etat Thierry Mandon a explicitement reconnu son inefficacité lors d’une interview sur France Inter en janvier dernier. Or pour atteindre ces 3%, les promesses du livre blanc cité par les auteurs (+1 milliard d’euro par an) sont insuffisantes, elles ne permettent même pas d’atteindre 1% du PIB pour la seule recherche publique.
Concernant le fonctionnement de la recherche, nous sommes pour la suppression de l’ANR, car selon nous, le mode de financement du fonctionnement des unités doit redevenir un financement récurrent. Déposer un projet à l’ANR juste pour assurer le fonctionnement normal d’une unité constitue une gabegie de moyens doublée d’une impéritie administrative intolérable, justement dénoncée par les membres de la commission des mathématiques de l’ANR, lors de leur démission collective l’an dernier. Mais évidemment, une partie des financements, notamment de grands équipements seront encore financés en « mode projet ». De plus, a-t-on attendu 2005 et la création de l’ANR pour signer des grands contrats de recherche quadri- ou quinquennaux en France ? Il est probable que les signataires de ce texte, pour les plus âgés d’entre eux, ont eux-mêmes bénéficié de financements de ce type bien avant cette date, ce qui n’a pas empêché certains d’être Prix Nobel…
Nous sommes aussi pour la suppression de l’HCERES, car la logique d’évaluation bibliométrique conduit à un dévoiement du système des publications et induit beaucoup de souffrance chez les personnels. L’évaluation doit redevenir une prérogative de chaque organisme et servir à conseiller plus qu’à sanctionner. Comme nous sommes pour la suppression des primes, les auteurs nous accusent de vouloir la « fuite des cerveaux ». C’est sans doute ici que l’attaque est la plus grossière. Quels chercheurs travaillent pour obtenir une prime d’excellence ? Un chercheur n’est heureusement pas encore un manager, dont le seul objectif est le gain financier ! L’attractivité de la recherche française est d’ailleurs encore bonne. Il suffit de participer à un concours CNRS ou INRA pour observer que beaucoup de scientifiques viennent en France, non pas pour le salaire, mais pour les conditions de travail et l’existence de postes permanents. Et pour cause, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, les universitaires et les chercheurs sont poussés à bout par la précarité et le « publish or perish ». Les salaires sont trop bas, mais à qui la faute ? Nous proposons donc une revalorisation de 7% de tous les salaires, pas seulement ceux de quelques chercheurs soit disant excellents. Car contrairement aux auteurs de la tribune, nous pensons que la science est une aventure collective à laquelle tous les acteurs contribuent.
Venons-en aux liens avec le privé. Notre volonté d’indépendance de la recherche publique vis-à-vis du privé vise à reconstituer un climat de confiance entre scientifiques et citoyens. Comment être crédible sur les OGM quand les études sont financées par Monsanto ? Mais indépendance ne veut pas dire indifférence. Nous avons besoin d’innovations pour faire face aux défis écologiques et sociaux. Mais le CIR a démontré son incapacité à jouer ce rôle. Nous souhaitons donc promouvoir l’embauche de docteurs eu sein des entreprises privées, en le reconnaissant dans les conventions collectives, ce qui lierait de façon plus organique l’université en amont et les entreprises en aval. Nous défendons aussi le développement d’organismes publics de transfert de la connaissance finalisée. Et nous ne sommes pas contre des aides ciblées à des entreprises. Dans le cadre de la transition écologique, nous proposons un grand plan d’aide à l’innovation scientifique, notamment à destination des PME, en faisant du recrutement de personnels scientifiques un critère d’octroi de ces subventions. Mais nous ne souhaitons plus de chèques en blanc détournés pour alimenter les profits de multinationales.
Enfin, le spectre d’une soviétisation de l’Université française hante également les auteurs de la tribune. Rassurons-les. Certes, nous pensons que l’autonomie a généré une caste de gestionnaires toute puissante au détriment de la véritable démocratie universitaire. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls, 85 % des acteurs de l’ESR estimaient, dans le dernier baromètre Educpros, que les lois LRU et Fioraso n’avaient au mieux servi à rien, au pire pour 59 % d’entre eux, qu’elles avaient aggravé la situation des chercheurs et universitaires. Mais nous ne proposons aucune « planification globale de la mobilité des enseignants-chercheurs », seulement le remplacement de la procédure de qualification par le Conseil National des Universités par un recrutement direct comme fonctionnaire, mais sans affectation. Celle-ci sera prononcée au terme d’une phase de mobilité où les universités auront bien évidemment le dernier mot sur le candidat qu’ils recruteront au sein du vivier. Ce système, en renforçant le rôle du CNU, tout en confortant la place des universités dans la procédure d’affectation, résoudra les contradictions insolubles du système actuel de mutation des enseignants-chercheurs, empêchera le localisme et garantira simultanément la possibilité pour les universités d’avoir une politique de recrutement maîtrisée. Ce système de recrutement devrait être familier aux auteurs, puisque c’est justement celui qui a cours dans certains EPST (CNRS, INSERM, INRA etc.) où ils travaillent pour la plupart d’entre eux…
Egalité ne signifie pas pour autant uniformisation. Nous défendons la liberté pédagogique et la liberté de la recherche. Par contre, pour nous l’égalité d’accès à l’Enseignement Supérieur sur tout le territoire est essentielle pour bien assurer la mission de Service Public du partage du savoir. Or l’autonomie accentue les inégalités entre étudiants, mais aussi entre enseignants-chercheurs. Pire en période d’austérité, elle équivaut soit à la lente agonie des universités, soit à une hausse exponentielle des frais d’inscription. La faillite actuelle de nombreuses universités en est une preuve criante. Les auteurs préféreraient peut-être des universités entreprises, qui comme aux USA coutent une fortune aux étudiants, dont les prêts alimentent la bulle financière ?
Pour conclure, nous ne sommes pas surpris que les ardents défenseurs des réformes engagées depuis 2005, s’opposent à notre programme de rupture. Ils sont probablement indifférents à l’immense majorité des étudiants et des chercheurs laissés pour compte de réformes, qui ne profitent qu’à une minorité de neo-managers accaparant toutes les ressources. Par contre, ce qui est plus inquiétant, c’est que des esprits aussi brillants ne voient pas, que ce sont les directions qu’ils promeuvent qui menacent réellement aujourd’hui sur la science. Pire, ils versent dans la pire des caricatures quand selon eux une hausse des budgets de 4.6 milliards d’euros, des salaires de +7% et 5000 recrutements conduirait à une fuite des cerveaux et menacerait la science….
Hendrik Davi co –animateur du Livret ESR de la France Inoumise, Chercheur en Ecologie
[1] http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/20/les-programmes-de-le-pen-et-melenchon-pourraient-nuire-gravement-a-la-science_5114004_3232.html